Livres Hebdo - 3 961 romans parus l’an dernier sont des traductions, soit une hausse de 9 %. Pourquoi traduit-on autant dans l’Hexagone ?
Patrick Deville - Parce que les lecteurs le veulent. La France est l’un des pays où l’on traduit le plus. On a la chance d’avoir beaucoup de libraires, de la critique littéraire grand public dans les médias qui parle beaucoup de ce qui se fait à l’étranger. Donc les lecteurs français sont curieux, friands de cette littérature étrangère. En comparaison, dans le monde anglo-saxon on traduit très peu.
Ce goût de la traduction, c’est donc une spécificité française ? L’exception culturelle ?
Oui, contrairement au système éditorial anglo-saxon par exemple. Là-bas, il y a des agents littéraires, des ateliers de creative writing dirigés par des romanciers qui vont faire éditer tel ou tel manuscrit. Cela crée une uniformité qui n’existe pas en France. Cela dit, ne pas avoir d’agent est aussi un handicap pour les auteurs français contemporains, qui ont plus de mal à se faire traduire en anglais.
Globalement, trop de traductions peut-il nuire à la création ?
C’est exactement l’inverse. La littérature française est très variée, justement parce que nos écrivains lisent beaucoup de livres étrangers.
C’est donc cette diversité qu’il faut défendre ?
C’est extrêmement important. Une littérature nationale qui s’enferme dans sa langue, c’est très grave. C’est ce qu’il est en train de se passer en Grèce. Il y avait là-bas une structure similaire à la Meet, appelée Ekemel [Centre européen pour la traduction de la littérature et les sciences humaines, NDLR], qui a fermé il y a deux ans. Et le Centre national du livre grec a fermé l’année dernière. La littérature grecque se retrouve isolée. C’est pourquoi nous faisons en ce moment un effort en direction de ce pays, en invitant des auteurs grecs et en décernant le prix Laure-Bataillon à Christos Chryssopoulos.
Le marché n’est pas extensible. Peut-on imaginer devoir un jour défendre quantitativement la production nationale, comme les radios avec leurs quotas de musique francophone ?
On traduit beaucoup, mais je n’ai pas l’impression qu’on crée moins. Dans les romans parus en septembre dernier, il y a autant de français que de romans traduits. Le jour où le ministère de la Culture devra imposer un minimum de littérature française, ce sera très grave !
Comment résumez-vous le rôle de la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs ?
La Meet a pour visée de promouvoir les auteurs étrangers auprès des éditeurs et des lecteurs, par des rencontres et par l’édition d’une revue bilingue. Chaque nouveau numéro prend deux villes pour repères. La dernière fois, c’était Athènes - Santiago du Chili. Pour le prochain numéro, ce sera Bogota - Beyrouth : on va éditer une dizaine d’auteurs colombiens et libanais.
Les éditions bilingues sont peu courantes. Pourquoi ce choix ?
C’est quelque chose qu’il faut promouvoir. Les maisons d’édition sont des entreprises privées qui risquent leur argent, c’est normal qu’elles ne se risquent pas souvent à éditer du bilingue. C’est pour cela qu’il est important qu’une structure comme la Meet fasse ce travail. C’est un terrain sur lequel il n’y a pas de concurrence.
Pouvez-vous nous donner un exemple d’auteur introduit en France grâce à la Meet ?
L’écrivain russe Vassili Golovanov. Il a reçu le prix Laure-Bataillon en 2008 pour son Eloge des voyages insensés et maintenant, il est publié chez Verdier.
En tant qu’auteur, quel est votre rapport à la traduction que l’on fait de vos textes ?
J’y suis très attentif, car il y a quelque chose de pire que de n’être pas traduit, c’est être mal traduit. Pour chaque langue dans laquelle je suis édité, je souhaite n’avoir qu’une seule maison d’édition et un seul traducteur. Je rencontre régulièrement mes traducteurs, j’échange avec eux. Quand j’écris, je sais déjà que telle ou telle phrase n’est pas possible dans une autre langue. On travaille ensemble pour trouver la meilleure solution. Enfin ça, c’est pour les pays dont je suis proche culturellement et ceux dont je parle la langue (1). Mais quand c’est du chinois…
Quel est le dernier coup de cœur que vous avez eu grâce à une traduction française ?
Les travaux du royaume de l’auteur mexicain Yuri Herrera, chez Gallimard, traduit par Laura Alcoba. Je l’ai acheté dans une librairie à Genève.
Propos recueillis par François Oulac
Meet : www.meetingsaintnazaire.com
(1) Patrick Deville parle l’anglais, l’espagnol et l’allemand.