Une tragédie américaine. « Les armes existent dans le but unique de détruire la vie. » Pourtant, elles ne cessent de proliférer aux États-Unis où le rêve peut facilement virer au cauchemar. Consterné, l'écrivain Paul Auster leur consacre un essai très personnel. Il a lui-même connu un drame intime, longuement caché, qui lui sert de point de départ pour dresser un tableau terrifiant d'une réalité quotidienne. « Un million et demi de vies américaines ont été détruites par balle depuis 1968, plus de morts que la somme totale des morts causées par les guerres. » Ce chiffre terrible ne tient guère compte des blessés et des victimes collatérales, « dont le corps n'a jamais été touché par les balles, mais qui continuent à souffrir de blessures internes causées par la perte ». Une terre de traumatisés, enclins à cette violence omniprésente. Les Américains « détiennent actuellement 393 millions d'armes à feu, soit plus d'une arme pour chaque homme, femme et enfant de ce pays. » Plus de la moitié des morts sont des suicides, les autres étant liées à des accidents, à des meurtres ou aux tueries de masse, desquelles cette nation est coutumière. Auster s'interroge : « Pourquoi l'Amérique est-elle si différente, et qu'est-ce qui fait de nous le pays le plus violent du monde occidental ? » Selon lui, ce sont son histoire et sa culture, dans laquelle on n'envisage que « la peur mêlée à la violence et des balles comme arme de premier secours ». Il déplore aussi l'influence des réseaux sociaux dans la surenchère de la violence. Tout est bon pour briller, y compris devenir un tueur de masse. « L'annihilation d'inconnus s'est changée en sport de compétition. » Or presque aucune réflexion ou action n'est mise en place pour contrer cela. Outre les puissants lobbys pro-armes, certains politiciens, comme Trump, encouragent vivement la possession d'armes, justifiant ce marché juteux par la légitime défense. On les achète si facilement sur internet. Leurs ventes continuent à progresser, voire à exploser y compris auprès des mineurs.
Les chapitres brefs et percutants de ce livre se heurtent au travail du photographe Spencer Ostrander, beau-fils de l'auteur. Deux ans durant, il a sillonné le pays pour immortaliser des lieux où se sont déroulées des tueries : supermarchés, écoles, universités, hôpitaux, églises, synagogues ou discothèques.
« Ces images sont remarquables par l'absence de présence humaine et l'impossibilité d'y distinguer la moindre trace d'arme », note Paul Auster. Comme si cela semblait irréel. Seules les légendes viennent rappeler une glaçante vérité. « Des photographies du silence, pierres tombales de notre chagrin collectif ». Ce travail en tandem vise à dénoncer l'amplification de ce fléau. L'auteur voit dans les armes la « principale métaphore de tout ce qui continue à nous diviser et qui menace de nous dévaster et de mettre un terme à l'expérience américaine ».
Pays de sang. Une histoire de la violence par arme à feu aux États-Unis Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Laure Tissut
Actes Sud
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 26 € ; 208 p.
ISBN: 9782330173555