L'épuisement du temps. La vitesse, c'est le nœud de la réflexion chez Paul Virilio (1932-2018). Elle conditionne tout. L'urbaniste a inventé en 1977 un terme pour saisir ce basculement technologique qui a bouleversé l'humanité : la dromologie. Cette science de la course (logos et dromos) et de la vitesse sociale commence au XIXe siècle et n'a cessé de galoper, malgré toutes les promesses d'un monde d'après-Covid. Pour freiner cette frénésie, Virilio avait même créé un sol oblique - on peut l'expérimenter dans l'église Sainte-Bernadette du Banlay à Nevers, construite en 1966 avec l'architecte Claude Parent - qui oblige à décélérer pour retrouver l'équilibre.
La cohérence de la pensée de -Virilio apparaît en magnificence dans ce volume qui reprend vingt-deux livres sur la quarantaine publiés, la plupart parus chez Galilée, son éditeur d'origine. Ce massif d'essais organisés par thématiques en quatre parties et non par ordre chronologique donne surtout quelques clés pour saisir l'emballement d'une civilisation qui épuise son temps comme son environnement. Mais lire Virilio, ce n'est pas constater que l'on court à la catastrophe, mais que l'on peut encore ralentir. Ce temps exténué, il suffirait de le prendre. Pour vivre dans la durée et non plus dans l'instant.
Même si certains passages qui emp-runtent à des notions de physique et de mathématiques restent un peu abscons, l'ensemble vaut largement pour ce qu'il nous dit d'une transformation de la civilisation comme l'avait pressentie également Bruno Latour. Relire ou lire Virilio - car il y a de nombreux inédits dans ce volume -, c'est observer le monde sous une autre focale. On peut discuter l'option prise par l'urbaniste, mais on ne peut aussi que constater quelques fulgurances qui prennent sens dans notre vie quotidienne, à l'heure du changement climatique et de la transition sociétale qu'il entraîne. Cette accélération du rythme dans la vie des individus nous invite à nous intéresser aussi bien à la géopolitique et aux territoires qu'à la solidarité et aux libertés. On reste stupéfait par la prescience des choses, l'érudition tous azimuts, la fringale des concepts et des idées pour s'emparer du monde tel qu'il va, trop vite. Cette pensée, en mouvement elle aussi, est faite de rapprochements, de collages, d'intérêts en tout genre. C'est une réflexion profondément marquée par la Seconde Guerre mondiale, la découverte des ruines à Nantes alors qu'il était enfant puis des bunkers et le constat d'une accélération constante des existences qui lui fait écrire que « tout est maintenant ».
Le « musée de l'accident » qu'il avait envisagé fait son chemin dans un monde noyé sous les crises climatiques, géopolitiques, sociales, démographiques, migratoires, océaniques ou encore sanitaires pour prendre la mesure des points de rupture. Mais derrière cette vaste réflexion qui choisit le mouvement comme prise de risque, se dégage un optimisme que reprend parfaitement le titre de cette somme qui a valeur de manifeste : « La fin du monde est un concept sans avenir ».
La fin du monde est un concept sans avenir : oeuvres (1957-2010)
Seuil
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 48 € ; 1248 p.
ISBN: 9782021483888