Avec Ça raconte Sarah (Minuit), récit poignant et juste d'une passion amoureuse, Pauline Delabroy-Allard fit à l'automne 2018 une entrée très remarquée dans le paysage littéraire contemporain. Une écrivaine était née et ses lecteurs ne demandaient qu'à la voir grandir. C'est chose faite avec ce Qui sait qui la voit désormais publier à l'enseigne de la NRF. Et en fait de naissance, c'est bien cela, les aléas troubles de l'état civil, les jeux dangereux entre mémoire et identité, dont il sera en ces pages question.
Soit donc, Pauline. Elle est jeune encore, un peu entre le zig et le zag de son existence, amoureuse aussi de sa compagne. Également, elle est enceinte. À cet enfant à venir il faut un nom. Un nom qui procède d'une histoire, d'un nécessaire récit de genèse. Justement, Pauline a le sien et encore d'autres, cette guirlande de prénoms qui accompagnent son existence. Pauline, c'est entendu, mais encore, posés là sans aucune explication, Jeanne, Jérôme, Ysé. Les mystères d'une vie se cachent parfois dans les replis des services administratifs de l'état civil. Chez la jeune femme, de tout temps à jamais, le passé n'est pas une question. Alors que l'ombre d'une grande tragédie la recouvre peu à peu, elle va partir et puis chercher. Chercher Jeanne, qui se révèle arrière-grand-mère rattrapée par les rets de la folie. Chercher Jérôme, archange trop tôt disparu, du Paris gay des années 1980 aux horizons incertains de Sousse en Tunisie. Chercher Ysé dans la Chine des années 1900 et entre les pages du Partage de midi de Claudel. Pauline cherche comme on se perd, avec détermination et au risque de l'âpreté du monde et de ses voix éteintes.
Il faut rendre hommage à Pauline Delabroy-Allard de n'avoir pas cherché à faire ce qu'elle sait si bien faire. Son Qui sait n'est pas (ou pas seulement) une version en miroir de son inaugural Ce que raconte Sarah. C'est un livre ambitieux, souvent puissant, qui questionne sa propre forme en même temps qu'il la trouve peu à peu. Un roman joliment incarné qui a l'élégance de laisser toute sa place à son lecteur. C'est aussi, c'est enfin − et ce n'est pas la moindre de ses qualités − un vrai plaidoyer pour les transfigurations qu'offre la littérature, que recèle l'écriture. S'y dessinent comme le palimpseste d'une famille possible, une façon moderne et résolue de s'inscrire dans une communauté souhaitable. Une autre façon si précieuse de n'être plus jamais seul.
Qui sait
Gallimard
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 19 € ; 200 p.
ISBN: 9782072968143