22 MARS - PHILOSOPHIE France

Jean-Luc Nancy- Photo GALILÉE

On s'en occupe assez peu. Dans les discours, il fait moins recette que le passé ou l'avenir, les archives ou les prévisions, l'histoire ou les générations futures. Or Jean-Luc Nancy voudrait que l'on s'intéressât davantage au présent, à ce qui advient, à ce qui caractérise notre passage. C'est le sens de la conférence qu'il publie sous le titre L'équivalence des catastrophes. Car bien sûr toutes les catastrophes ne se valent pas !

Ce n'est d'ailleurs pas ce qu'entend démontrer ce philosophe postmoderne proche de Derrida et grand lecteur de Maurice Blanchot. A 71 ans, cet ancien professeur à l'université de Strasbourg examine les liens entre les catastrophes et les systèmes techniques, sociaux, politiques et économiques.

Invité à Tokyo à réfléchir sur Fukushima, Jean-Luc Nancy rappelle qu'en 1755 le séisme de Lisbonne chiffonna les philosophes sur la question de la Providence. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. L'homme est en grande partie responsable de ce qui lui arrive, et l'humanité détient les capacités techniques d'une catastrophe généralisée.

Dans sa discussion sur Fukushima, Jean-Luc Nancy met en relation Hiroshima avec Auschwitz, ces deux dernières catastrophes impliquant l'engagement de la technologie aux fins d'anéantissement. "Ce qui est commun à ces deux noms, Auschwitz et Hiroshima, c'est un franchissement des limites - non pas des limites de la morale, ni de la politique, ni de l'humanité au sens du sentiment de la dignité des hommes, mais des limites de l'existence et du monde où elle existe." C'est pour cela qu'ils sont devenus "des noms à la limite des noms".

A Fukushima, l'intention de destruction n'existe pas. Elle est remplacée par celle du profit. Le philosophe japonais Osamu Nishitani a parlé de "guerre sans ennemi", d'une guerre contre nous-mêmes en quelque sorte. Et c'est là où voulait en venir Jean-Luc Nancy. Il craint la disparition d'une "humanité véritable" où la quantité a remplacé la qualité. Cette quantité, il faut bien la nommer : c'est l'argent. "Il n'y a plus de catastrophes naturelles : il n'y a qu'une catastrophe civilisationnelle qui se propage à toute occasion."

Dans cet essai qui se distingue par sa clarté et sa densité, Jean-Luc Nancy regrette que nous ayons accepté aussi facilement la servitude volontaire à l'égard de la technique et plus particulièrement de la technique monétaire qui échappe à la décision humaine. "Nous avons, de fait, transformé la nature et nous ne pouvons plus parler d'elle." Ce ne sont pas les mots qui manquent, ce sont les intentions. Non, toutes les catastrophes ne se valent pas. C'est pourquoi il est urgent pour ce philosophe d'éviter celle qui se prépare.

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