Au départ, il y a des hommes. C’est-à-dire des femmes, un bébé, une lycéenne, un homme politique, un ivrogne ou un père en instance de divorce. Soit une dizaine d’individus saisis au moment précis où le réel prend pour eux un goût de désastre. Une gifle, un fou rire, un cauchemar, il en faut peu. Il y faut juste, à tout cela, à guetter ce qui nous guette, un ordonnateur des basses et hautes œuvres; en d’autres termes, un romancier.
Ce qui nous guette est le quatrième roman de Laurent Quintreau, le deuxième dans la collection dirigée chez Rivages par Emilie Colombani. C’est un livre que son auteur dit "avoir laissé advenir à lui". Un livre conçu comme un algorithme exponentiel, oscillant entre l’hyperréalisme et le conte. Cet entre-deux est au cœur même du projet littéraire de Laurent Quintreau. Il ne se retrouve ni dans ce qu’il appelle "la littérature comme reflet", ni dans les joies trop pures du seul formalisme littéraire. Et bien qu’il avoue relire souvent Balzac, Flaubert ou Schopenhauer, il pose tout de même la seule question qui vaille et qui fâche: "Peut-on attraper les mouches du vingt et unième siècle avec du vinaigre balzacien ?" Aussi est-ce plutôt du côté des maîtres satrapes de la littérature - Jarry, Roussel d’abord et puis surtout l’Oulipo, Perec (il cite à l’envi son W ou le souvenir d’enfance) et Queneau - qu’il convient d’aller chercher les guides indispensables de notre homme.
Etat de sidération
Au fond, pour mieux goûter encore la fantaisie froide et presque rageuse des livres de Laurent Quintreau, il convient de faire un détour par Niort, préfecture des Deux-Sèvres. C’est le lieu de l’enfance qui est forcément aussi une enfance de l’art. C’est chouette Niort comme terrasse pour réinventer l’enfance. A condition de savoir en sortir. Les livres fourniront la clé des champs, les livres et les études, une khâgne à Poitiers. Il y rencontre des enfants aussi gais et graves que lui, Nicolas Bourriaud, Christophe Duchatelet, Jean-Yves Jouannais, et fonde avec eux une bande qui devient un groupe qui devient une idée faite de livres et actions tous azimuts, "les Perpendiculaires". Entre-temps, comme il faut ce qu’il faut, Niort et Poitiers seront devenus Paris. Et Laurent Quintreau va se dissiper joliment comme le font les gosses et les nuages. Il y a l’écriture déjà, mais pas encore le roman, quelques expositions, quelques performances et le Moloch tout sauf ordinaire du monde du travail. Publicitaire, puis délégué syndical, un monde en soi autant que la perversion du réel par la fiction. Il dit: "la grande humiliation aujourd’hui, c’est l’interchangeabilité de tout le monde, l’état de sidération qui en résulte. L’homme est déclassé, c’est le grand baisé de la modernité." Face à cela, une réponse, des livres donc, et avec Maurice Blanchot "l’espace littéraire comme mise à distance". Olivier Mony
Laurent Quintreau, Ce qui nous guette, Rivages, Prix: 16,50 €, 170 p., Sortie: 4 avril, ISBN: 978-2-7436-4363-8