Depuis la révolution industrielle, le charbon puis le pétrole ont bouleversé les sociétés et les pouvoirs politiques. Cette réflexion est au cœur de la thèse très originale de Timothy Mitchell. Historien et anthropologue, titulaire de la chaire d’études du Moyen-Orient à l’université de Columbia à New York, il propose de faire le lien entre l’extraction des principales énergies fossiles et les formes de gouvernement pour mettre en évidence ce qu’il nomme la démocratie du carbone, la « Carbon Democracy ».
Il rappelle que l’exploitation du charbon a entraîné celle des hommes au XIXe siècle. Mais celle-ci provoqua à son tour les grèves de mineurs, les revendications d’une classe ouvrière, l’apparition des syndicats et des avancées sociales. Au siècle suivant, le choix du pétrole porta un coup fatal à ces doléances ouvrières. De moins en moins d’hommes étaient nécessaires pour extraire le précieux liquide et son transport pouvait s’effectuer par oléoducs. Timothy Mitchell montre que cette transition énergétique s’est effectuée aussi pour des raisons politiques.
Mais son étude va beaucoup plus loin. Elle signale combien le pétrole a modifié l’équilibre des pouvoirs dans les démocraties occidentales avec l’apparition d’importants groupes industriels et de puissants pays producteurs avec lesquels il fallait négocier et qui virent, eux aussi, leurs sociétés et leurs gouvernements bouleversés par l’or noir.
Les pays fournisseurs comme les exploitants ont appris à produire de la rareté. La finance internationale s’est emparée de cette manne épuisable mais très rentable au point d’imaginer une croissance illimitée des bénéfices. Aujourd’hui, il faut imaginer le monde de l’après-pétrole et les mutations politiques qu’il préfigure. C’est le sens de la dernière partie de cet ouvrage. Pour les grandes démocraties, la transition énergétique devra s’accompagner d’une transition politique, économique et sociale. C’est en tout cas la thèse de cet essai bluffant, très étayé, qui a le mérite de nous faire regarder l’histoire de ces deux derniers siècles sous un angle très singulier. L. L.
