«Mon itinéraire est celui d'un cadre supérieur sorti d'école de commerce, avec des convictions révélées petit à petit par mes lectures, mes amis écrivains. » Dans le paysage de l'édition, Mathias Echenay est un personnage singulier, aux multiples casquettes. À la fois passionné de littératures, fin connaisseur de la chaîne du livre, et notoirement « grincheux », il est un franc défenseur de l'édition indépendante et de sa diversité, porte des textes littéraires et engagés et s'implique dans l'Association pour l'écologie du livre.
Après avoir occupé des postes dans les grands groupes et les institutions littéraires, il se consacre aujourd'hui de plus en plus à son activité d'éditeur. Depuis 2016, Mathias Echenay est aussi consultant pour une agence de conseils en édition, Axiales. « Je n'ai pas trouvé de recette magique, j'ai fait beaucoup de bêtises, mais je sais ce qu'il ne faut pas faire. »
Un loup blanc de l'édition
La particularité de Mathias Echenay, c'est d'avoir traversé de nombreux maillons de la chaîne du livre. Fils d'une bibliothécaire et d'un collectionneur de livres, c'est par la dimension commerciale qu'il aborde le livre en premier lieu dans sa carrière, fraîchement diplômé d'une école de commerce parisienne. Il a occupé de nombreux postes dans de grands groupes d'édition, de représentant - « au grand dam de mes parents : on ne faisait pas école de commerce pour être représentant » - jusqu'à celui de directeur général du CDE (Centre de Diffusion de l'Édition, Madrigall) entre 2007 et 2015 - « là, j'avais ma médaille ».
Mais tout a commencé avec ses stages chez Milan à Toulouse, il a ensuite intégré le Seuil et y reste pendant huit ans, d'abord comme représentant puis comme chef des ventes, avant d'être embauché à Flammarion comme directeur des ventes de la collection poche « J'ai lu », entre 2002 et 2007. C'est là qu'il développe sa curiosité pour la science-fiction et œuvre pour que les rayons des libraires et les rubriques des journalistes s'ouvrent à celle-ci et cessent de la réduire à une littérature de (sous-)genre.
La Volte des origines
C'est au rez-de-chaussée de sa maison, en banlieue parisienne, que Mathias Echenay a installé ses bureaux. Sur le canapé en cuir encastré dans une des bibliothèques de la grande pièce, il se remémore le point de départ d'une aventure qui se déroule depuis maintenant vingt ans. En 1993, un copain de son groupe d'amis, Alain Damasio, lui parle de Deleuze toute la soirée et finit par le convaincre de lire son premier roman, La zone du dehors. « Il paraît que j'ai dit que c'était génial », s'amuse aujourd'hui l'éditeur.
À l'époque, Mathias Echenay avait un pied dans l'édition, mais pas encore du côté du suivi des textes et de l'accompagnement d'auteurs : il travaillait comme commercial au Seuil. Connaisseur du paysage littéraire et des différentes lignes des maisons d'édition de l'époque, il présente le manuscrit à des éditeurs qu'il juge « sensibles à la science-fiction », mais qui ne donnent pas suite. « On a fini par l'éditer chez des copains et leur maison CyLibris, en 1997 ». À l 'époque de l'arrivée massive d'internet chez les particuliers, la mode était à la création de maisons d'édition en ligne proposant des textes lisibles directement sur le web, ou imprimés à la demande. « C'était la négation de mon métier, c'est-à-dire de la médiation par la librairie », explique l'éditeur.
La Horde du contrevent, un texte un peu fou
Une version imprimée a vu le jour quatre ans plus tard et, bien vite, Alain Damasio a eu un autre texte un peu fou à présenter, qui se caractérisait par 23 narrateurs : La horde du Contrevent. En accord avec CyLibris, Mathias Echenay repart à la conquête d'un éditeur, et trouve en son ami Jacques Chambon, grand spécialiste de la science-fiction, l'espoir de faire rayonner le texte et son auteur, encore anonyme, dans le paysage littéraire. Mais le projet prend du temps, et l'éditeur décède avant son aboutissement.
Mathias Echenay, alors en poste chez Interforum, décide de créer sa propre maison d'édition pour publier La horde en 2004. « La version d'Alain, c'est qu'il m'a permis de réaliser mon vœu le plus cher, et moi, je dis qu'il m'a forcé. » Aujourd'hui, La Horde du contrevent s'est vendue à environ 400 000 exemplaires en poche. Sans parler du succès phénoménal des Furtifs en 2019, qui s'est écoulé à 140 000 exemplaires en grand format dès la première année. « J'étais en rupture tout le temps, moi, le spécialiste du commercial ! »
Perspectives science-fiction
Mais La Volte, ce n'est pas uniquement Alain Damasio. C'est toute une famille de « voltés » (le terme vient de La zone du dehors et désigne le groupe de dissidents), proches de la maison, qui compte aujourd'hui quelque 70 auteurs et autrices, 101 titres, et publie 7 à 8 livres par an. Mathias Echenay insiste d'ailleurs sur la diversité et la richesse des plumes de son catalogue. « La volte, c'est la somme de ce qui est publié, mais le premier choix, c'est la littérature. » Parmi les auteurs à succès de la maison, Léo Henry et son Hildegarde ont atteint plus de 4 000 exemplaires vendus en grand format, Michael Roch, 3 000 exemplaires deTè Mawon, ou encore Stéphane Beauverger et son Déchronologue, vendu à 4 000 exemplaires en grand format, et dix fois plus en poche...
Si certains de ces textes sont des inclassables, tous ont pour point commun une recherche exploratoire de la langue, une approche singulière de la narration et des rapports de domination. « J'accepte que la littérature ne soit pas utile, mais j'aime imaginer que la fiction donne des outils pour lutter contre la pensée unique », précise l'éditeur. Ce qu'il vise ? Le développement des utopies. « Tout le monde parle de hope punk (cette science-fiction qui décrit un futur désirable), mais peu en font. » C'est une des raisons pour lesquelles il a créé la collection « Eutopia », qui rassemble des novellas mettant en scène des sociétés idéales.
Mathias Echenay prône également la réouverture de l'angle mort dans lequel se trouvent certains titres ou les maisons classées en science-fiction. « Les thèmes de SF sont de plus en plus présents dans la littérature dite généraliste et ces titres ne sont pas pour autant classés dans les rayons SF. Nous n'avons toujours pas accès à cette même ouverture. » C'est en ce sens que la maison fait évoluer sa charte graphique, afin de permettre une plus claire identification par les amateurs de littérature générale comme de littératures de l'imaginaire.
Vert l'horizon ?
Pour ses 20 ans, La Volte fait le point et communique sur ses enjeux, ses nouveautés et son fonds, en mettant un point d'honneur à donner une dimension écologique à sa production éditoriale. La transformation de sa charte graphique accompagne aussi un changement de formats et de processus de fabrication qui a moins d'impact écologique. La maison n'entend pas donner dans le greenwashing - « Produire un livre écologique n'est pas possible car produire n'est pas écologique ». Pour autant, La Volte réfléchit à chaque point sur lequel jouer pour amoindrir son empreinte carbone, malgré le peu de choix qui s'offrent à de petites maisons produisant à flux tendus. « On connaît l'origine de notre papier, on choisit des couvertures non pelliculées, on travaille avec des imprimeurs proches de notre distributeur... » L'éditeur évoque même l'idée de travailler sur une forêt, « mais c'est encore autre chose ». Sur la question de la surproduction dénoncée par de petits comme de gros éditeurs, il reste fermement grincheux : « La baisse de la production n'arrivera pas ; même si on parvient à une diminution de 10 % de la production, il y aurait encore plus de 63 000 nouveautés par an ! Et qui va décider qu'un livre est utile ou inutile ? » Selon l'éditeur, la marge écologique possible n'est pas là ni sur la question des transports, mais bien sur la fabrication, le choix et la gâche du papier.