Quel souci La Boétie ! « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. » Les relations entre Montaigne et La Boétie ont fait couler beaucoup d'encre. De quelle nature étaient-elles ? Peut-on parler d'homosexualité ? Les pistes sont nombreuses et Philippe Desan propose la sienne. Ce grand spécialiste de Montaigne, professeur émérite à l'université de Chicago, développe son hypothèse dans ce livre qui hésite entre le récit et la recherche, une « fiction vraisemblable » nourrie d'années d'études de l'œuvre et de la vie de l'écrivain.

Philippe Desan rappelle que même si Montaigne se prit lui-même pour objet dans les méandres du temps et de l'histoire, rien ne nous assure qu'il ait tout dit. De même sur ses liens avec l'auteur du Discours de la servitude volontaire et sur sa mort prématurée. Le ressenti d'une amitié, voire plus, relève de la construction a posteriori. Mais qu'en fut-il réellement ? Montaigne s'est façonné à sa guise. Ce que nous prenons pour de l'authentique ne l'est peut-être pas. Il avait d'ailleurs prévenu ses lecteurs. « En l'étude que je traite de nos mœurs et mouvements, les témoignages fabuleux, pourvu qu'ils soient possibles, y servent comme les vrais. » L'imagination n'est pas moins importante que la réalité pour comprendre un personnage ou une époque. Philippe Desan tente de faire le point.

Étienne de La Boétie, conseiller influent au parlement de Bordeaux, son épouse Marguerite et Michel de Montaigne dont la carrière n'avance pas dans ce même parlement, forment un triangle amoureux. On croise des médecins, des imprimeurs, on examine un curieux flacon en forme de livre relié et on déchiffre un trentième sonnet latin de La Boétie qui livre la clé de l'énigme. Construite en trois parties, biographique jusqu'à la mort de Montaigne, analytique ensuite avec des personnages fictifs, l'enquête s'achève dans les années 2000 avec une doctorante française et un universitaire franco-américain à la Desan. Le « parce que c'était lui, parce que c'était moi » se transforme en cold case. Enquête ou polar historique, chacun, amateur ou non de Montaigne, trouvera de quoi satisfaire sa curiosité dans cette entreprise audacieuse que l'on peut aussi qualifier d'essai, joliment transformé.