22 AOÛT- ROMAN France

Mathias Enard- Photo M. AVANZATO/ACTES SUD

On connaît la relation singulière qu'entretient Mathias Enard avec la langue, les langues. Polyglotte, il connaît l'arabe et le persan : il a traduit un classique de la satire iranienne, Epître de la queue de Mirzâ Habib Esfahâni (Verticales, 2004). Tous ses livres révèlent son goût pour la plasticité de l'écriture, ses mille possibles jeux. Le virtuose Zone (Actes Sud, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009), sur les misères de la guerre, était une seule phrase qui se déploie en volutes de souvenirs ; Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (Actes Sud, 2010) une fantaisie orientaliste où Michel-Ange se retrouve l'hôte de sultan ottoman ; récemment, avec Le pays de l'alcool et de la nostalgie (Inculte 2011, repris en Babel), c'est le lyrisme de La prose du Transsibérien de Cendrars qu'il revisite au travers d'un trio amoureux. Dans son roman de rentrée, Rue des voleurs, Mathias Enard réunit les deux rives de la Méditerranée, deux lieux de prédilection - le monde arabe et l'Espagne, où il vit.

Lakhdar est un jeune Tangérois d'à peine 20 ans, aspirant à la liberté, liberté d'action et tout d'abord de moeurs. Découvert en train de fricoter avec sa cousine Meryem, il est chassé du foyer et se retrouve à la rue. Ainsi commencent ces aventures au ton picaresque et à la verve à la fois gouailleuse, façon série noire, et empreinte de littérature classique arabe. Dans son malheur, le hasard lui sourit quand même : il trouve un ami dans la galère comme lui, Bassam ; l'amour en la personne d'une Barcelonaise étudiante d'arabe, Judit ; et un job grâce à un expatrié français qui a une entreprise de saisie de texte (il est moins cher de faire saisir par des "locaux" les Mémoires de Casanova ou des annuaires d'Anciens combattants que de les faire scanner). Mais le hasard est une fleur fragile : Judit est repartie, et Bassam qui s'islamise à vue d'oeil a disparu depuis l'attentat de Marrakech... Quant au boulot, il est abrutissant. Lakhdar le quitte et rejoint l'équipage d'un ferry qui sillonne entre Tanger et Algésiras. L'Ibn Batouta est bientôt en rade car la compagnie ferroviaire, criblée de dettes, est en cessation de paiements, et voilà Lakhdar évadé en terres espagnoles. Notre héros travaille désormais chez un croque-mort dont le commerce consiste à rapatrier les corps de clandestins marocains noyés. Le morbide Señor Cruz, qui ne cesse de regarder des vidéos d'égorgement d'otages, s'empoisonne, quelle aubaine ! Lakhdar part avec la caisse, direction Barcelone où habite Judit. Mais la suite n'est pas aussi rose, car Enard n'a pas écrit un conte de fées mais bien une chronique du réel où la jeunesse arabe, malgré son fameux "printemps", est aux prises avec les duretés économiques et les périls de l'islamisme radical.

08.10 2014

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