Mon ami Piero. La Madonna del Parto. C'est à partir de cette peinture de Piero della Francesca représentant la Vierge enceinte que Piero Calamandrei puise sa réflexion sur le beau, les racines de l'Italie et la mémoire du monde. Nous sommes entre la Toscane et l'Ombrie en 1938. La date a son importance : dans l'Italie mussolinienne, à quelques mois du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Ce Florentin, éminent professeur de droit et militant antifasciste, prend conscience devant cette fresque de la fragilité de la nature et des hommes. Dans ce texte paru en 1954 puis en 2015 en Italie, inédit en français, il exprime dans cette prose impeccable, maîtrisée comme un glacis de Vinci, la singularité de l'émotion face à un chef-d'œuvre. Calamandrei ne parle pas en tant qu'historien de l'art même s'il connaît très bien le sujet des représentations de la Vierge. Il exprime sa position de spectateur face à la beauté intemporelle, spectacle accru au regard de l'atrocité du temps.

Piero Calamandrei (1889-1956) est peu connu en France. Au-delà de ses ouvrages de référence sur la procédure civile, il se fit remarquer par ses essais et ses œuvres littéraires. En France, ce sont les éditions de la revue Conférence, situées en Seine-et-Marne, qui se sont chargées de diffuser son œuvre à destination du grand public. Après Inventaire d'une maison de campagne (2009), Parler de Florence (2010), Éduquer, résister (2011), Éloge de la loi (2013), nous avions pu lire en 2016 un conte philosophique intitulé Comment cette histoire a pris fin dans lequel il imaginait le récit d'un survivant après un cataclysme nucléaire qui n'aurait éliminé que l'espèce humaine de la surface de la Terre. Que resterait-il ? Tout, notamment les œuvres d'art, les livres, les musiques, mais rien, en fait, puisque plus personne ne serait là pour les contempler, les lire ni les écouter.

Cette Rencontre avec Piero della Francesca, on l'aura compris, est d'abord un rendez-vous avec lui-même au cœur d'un pays entravé. Cette femme enceinte, dans sa simplicité, annonce la perpétuation du monde dans la douleur, mais aussi la liberté, la grâce contre la barbarie, « la douce mélancolie des femmes de l'Ombrie » et le miracle de la beauté. On retrouve tout cela dans ce petit texte d'une délicatesse infinie.