Avant-critique Roman

Pierre Adrian, "Hôtel Roma" (Gallimard)

Pierre Adrian - Photo © Francesca Mantovani/Gallimard

Pierre Adrian, "Hôtel Roma" (Gallimard)

Rentrée littéraire

Après Pasolini à qui il avait consacré son premier livre, Pierre Adrian se passionne pour son contraire absolu, le mal-aimé Cesare Pavese.

Parution 22 août

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 30.07.2024 à 09h00

Ave, Cesare. Le 18 août 1950, chez lui à Turin, Cesare Pavese, né en 1908, mettait un point final à son journal (publié en 1952 sous le titre Le métier de vivre) : « Plus un mot. Un geste. Je n'écrirai plus. » Une première mort, symbolique, celle de l'écrivain, qui avait commencé sa carrière en 1936 avec un recueil de poèmes intitulé Travailler fatigue. Le 26 août, il s'installe à l'hôtel Roma, juste en face de la gare, dans une chambre qui se visite aujourd'hui, lieu de pèlerinage pour les amateurs. La ville est à ce moment-là en pleines vacances d'été, quasiment déserte. Pavese fait néanmoins un tour chez l'éditeur Einaudi, où il a effectué toute sa carrière, lecteur, traducteur et essayiste érudit spécialiste de littérature américaine. Il y croise quelques connaissances. Puis il passe au bureau de L'Unità, le grand quotidien communiste (après la guerre, l'écrivain, qui en 1935 avait été arrêté et envoyé quelques mois en exil en Calabre par les fascistes, s'était reproché de ne s'être pas assez engagé durant le conflit et avait adhéré au Parti communiste italien). Ensuite, il regagne sa chambre, sinistre, et se suicide aux barbituriques. Son corps est retrouvé le lendemain par la femme de ménage. Le suicide l'avait hanté toute sa vie. Il fut salué par toute la classe littéraire italienne, dont Italo Calvino qui déclara : « Il était celui à qui je dois tout. » On lui fit des funérailles en grande pompe. En juin 1950, il s'était vu décerner le très prestigieux prix Strega. Il allait avoir 42 ans.

Après Pier Paolo Pasolini, sur qui Pierre Adrian écrivit son premier livre (La piste Pasolini, Éditions des Équateurs, 2015, prix des Deux Magots), le jeune écrivain italianiste s'intéresse à son exact contraire. Pasolini, d'ailleurs, n'avait aucune estime pour Pavese. Un écrivain peu sexy, désengagé, en retrait, dépressif chronique, terne, menant une petite vie médiocre d'intellectuel, ni grand amoureux (il était impuissant et avait un rapport aux femmes plus que complexe), ni grand voyageur (il n'a presque pas quitté l'Italie). Une espèce de mal-aimé de la littérature, qui fit l'objet d'une thèse de Dominique Fernandez, grand italianisant, intitulée L'échec de Pavese et publiée en 1968 chez Grasset.

À sa manière bien à lui, buissonnière, Adrian s'approprie son personnage, s'identifie même parfois, en totale empathie : « Oui je voulais [le] prendre dans mes bras », écrit-il. Et part sur les traces de son héros, de manière chronologique, de 2020, en plein Covid, à 2023 ; de l'hôtel Roma à Turin au cimetière de Santo Stefano Belbo, dans les Langhe, le village où Pavese est né et où il repose. À la Toussaint, moment idéal pour un pèlerinage nostalgique, littéraire et romantique, en compagnie de « la fille à la peau mate » avec qui le narrateur vit une love story entre la France et l'Italie, Paris, Rome et la côte ligure.

Même si l'on peut préférer sa veine plus fictionnelle (celle du magnifique Que reviennent ceux qui sont loin, Gallimard, 2022), on ne peut qu'être séduit par cette belle tentative de résurrection de Pavese le maudit, qui nous donne, tout soudain, l'envie de relire La lune et les feux, son dernier livre, paru en 1950. Son chef-d'œuvre.

Pierre Adrian
Hôtel Roma
Gallimard
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 192 p.
ISBN: 9782073021816

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