Avant-critique Roman

Le théâtre de Laville. Écrire un tel livre relève de la gageure : Pierre Laville, lui-même homme de théâtre, auteur dramatique, adaptateur, metteur en scène, qui a travaillé avec les plus grands, dans les plus grandes salles, et qui connaît sa Comédie-Française par cœur, a décidé de consacrer un roman à l'histoire de cette institution durant l'Occupation et jusqu'à l'épuration, soit de l'automne 1942 jusqu'en 1945.

Un roman où tout est véridique, mais où tout passe à travers les personnages. D'où un casting impressionnant, un fabuleux défilé du Tout-Paris littéraire et théâtral, qui n'a à aucun moment cessé de travailler, de créer, de jouer. Les uns par enthousiasme envers le nouveau régime et les Allemands, comme Arletty, amoureuse folle de son « Boche », Soehring, commandant dans la Luftwaffe, avec qui elle a coulé des jours heureux après la guerre, au terme de quelques ennuis prévisibles ; ou Mary Marquet, à qui cela valut sa radiation de la Maison de Molière ; ou encore Sacha Guitry, légèrement inquiété puis relâché ; ou Maurice Escande... D'autres parce que leur œuvre passait avant tout, comme Cocteau, omniprésent, virevoltant, qui fait jouer Renaud et Armide (un bide) ; Claudel, qui fait créer son Soulier de satin, mise en scène de Jean-Louis Barrault (un triomphe) ; ou Sartre, avec son Huis clos. Sa passivité pendant la guerre lui a été reprochée. Dans le livre de Pierre Laville, on voit sa compagne, Simone de Beauvoir, rembarrer sèchement le philosophe chaque fois qu'il critique Malraux, lequel, lui, a combattu dans la Résistance, même s'il ne l'a rejointe qu'en 1944. D'autres enfin, comme Marie Bell (1900-1985), ont continué à exercer leur art, tout en faisant leur devoir de patriote. Sous le nom d'Elisabeth, elle a travaillé pour la Résistance, couru des dangers, caché des Juifs chez elle, leur sauvant ainsi la vie, risquant la sienne. Ce qui lui a valu l'estime et l'amitié de Malraux, et la Légion d'honneur remise par le Général de Gaulle en personne, en août 1944. C'est elle, actrice d'exception, femme de passions, qui est la vraie héroïne du roman, son fil rouge, avec son compagnon Jean Chevrier, avec qui elle subira toutes les crises et qu'elle épousera après la guerre. Le couple, ensuite, quittera la Comédie-Française pour le théâtre privé. Un crève-cœur, tout à la fin. Tout cela est brillant, comme vécu, composé de saynètes, brèves ou plus développées. Les dialogues, reconstitués, sonnent parfaitement juste. On s'y croirait. Sans manichéisme ni pathos, Pierre Laville met en lumière une histoire connue des seuls spécialistes, celle de la Comédie-Française durant ses heures les plus sombres, avec ses ombres et sa lumière, ses salauds et ses héros. Un concentré d'humanité.

Pierre Laville
La guerre les avait jetés là
Robert Laffont
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 23 € ; 432 p.
ISBN: 9782221258583

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