Avant-Critique Essai

Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre, "L'épicerie du monde. La mondialisation par les produits alimentaires, du XVIIIe siècle à nos jours" (Fayard) : Alimentaire, mon cher Watson

Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre. - Photo © Claire Delfino

Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre, "L'épicerie du monde. La mondialisation par les produits alimentaires, du XVIIIe siècle à nos jours" (Fayard) : Alimentaire, mon cher Watson

Une équipe d'historiens dirigée par Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre a mené l'enquête sur les produits qui composent la grande épicerie du monde.

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Par Laurent Lemire
Créé le 29.08.2022 à 09h00 ,
Mis à jour le 29.08.2022 à 14h40

Évidemment, une suite s'imposait. Après le succès de la grande boutique des objets (Le magasin du monde, Fayard, 2020, plus de 10 000 exemplaires vendus), voici celle des aliments, autrement dit l'épicerie du monde. Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre ont donc remis le couvert pour nous présenter avec une cohorte de spécialistes une centaine de produits ou de plats que nous connaissons tous, ou que nous croyons connaître, et qui constituent la forme mondialisée des repas quotidiens. Si la circulation des produits augmente du XVe au XVIIIe siècle lors d'une première mondialisation avec ses trois boissons représentatives (café, thé, chocolat), c'est véritablement au XIXe siècle que le magasin s'agrandit. « L'épicerie est depuis plus de deux siècles un phénomène mondial », constatent les deux historiens. Et pour le démontrer, ils passent au crible les rayons de cette grande surface culinaire.

Il en est ainsi du piment, la seconde saveur la plus appréciée des Américains après le chocolat. On l'utilise de plus en plus dans les cuisines, mais aussi comme répulsif. L'ethnologue américain Hubert Bancroft (1832-1918) rapportait que, lors de l'expédition du Mexique sous le Second Empire, les cadavres des Français sur les camps de bataille étaient dévorés par les loups parce qu'ils n'avaient pas mangé de piment à la différence des soldats mexicains. Désormais, le piment, comme d'autres produits, se situe au centre d'un goût mondialisé qui n'échappe pas aux revendications identitaires. Ainsi le houmous divise Israël et le Liban sur ses origines. Le couscous est revendiqué par l'Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie. Quant à la vodka, il faut choisir entre la Pologne et la Russie.

Des acras au yaourt, les articles passent les aliments au tamis de l'histoire et nous font voyager, par exemple, dans l'Empire ottoman où fut inventé à la fin du XIXe siècle le döner kebab que les Turcs immigrés en Allemagne ont transformé en best-seller de fast-food dans les années 1960. On apprend aussi que le bahn mi est une conséquence de la colonisation française de l'Indochine. La baguette étant appréciée dans les villes, un couple vietnamien imagine dans les années 1960 à Saïgon un casse-croûte asiatique qui devient une star de la cuisine de rue. Mais il n'y a pas que de bons produits dans cette épicerie. Le Spam, viande en conserve distribuée aux troupes américaines durant la Seconde Guerre mondiale et surnommée « saucisse de Roosevelt », a fait l'objet d'un sketch des Monty Python dans les années 1970 sur la nourriture industrielle sans saveur et désigne aujourd'hui ce qui pollue notre courrier électronique.

Le « dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es » de Brillat-Savarin n'a jamais été autant d'actualité deux siècles plus tard. Depuis 2003, l'Unesco intègre d'ailleurs les savoir-faire culinaires et les usages gastronomiques dans son patrimoine immatériel. Dans la vague de désirs identitaires, les plats et les aliments deviennent des marqueurs nationaux noyés dans la grande bouffe mondiale.

Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre
L'épicerie du monde. La mondialisation par les produits alimentaires, du XVIIIe siècle à nos jours
Fayard
Tirage: 5 000 ex. (prov)
Prix: 25 € (prov) ; 432 p.
ISBN: 9782213721439

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