Deuxième épisode: Pierre Vidal-Naquet et la censure
L’impressionnante biographie que François Dosse a consacrée à Pierre Vidal-Naquet -
Pierre Vidal-Naquet, Une vie (La Découverte) – permet aussi de rappeler qu’il a été à la manœuvre quand il s’est agi de lutter contre les négationnistes.
Il ne faut jamais oublier que son père, Lucien, a été exclu du barreau de Paris, en 1942, parce qu’il était juif et est mort à Auschwitz après avoir été arrêté avec son épouse Marguerite, en 1944. Et je conserve au Musée du Barreau de Paris la correspondance, non censurée par les nazis car confidentielle par nature, adressée au Bâtonnier lors de ces deux années.
Les positions de l’historien qu’était Pierre Vidal-Naquet ont été relatées, en creux, par Valérie Igounet, auteure, en 2000, d’une
Histoire du négationnisme (Le Seuil) et d’un essai, en 2012, intitulé
Robert Faurisson, portrait d’un négationniste (Denoël). François Dosse les remet en lumière.
Négationnisme
Différentes voies sont utilisées pour limiter la liberté d’expression en vue d’empêcher les propos négationnistes. Avant de les énumérer rappelons que tous les systèmes juridiques permettent de limiter la liberté d’expression en cas d’atteinte à l’honneur et sanctionnent la fausse affirmation consciente d’un fait si elle porte atteinte à l’honneur. La première voie consiste à incriminer sous couvert de la répression de la « classique » incitation à la haine, à la discrimination ou à la violence raciales. Des négationnistes ont ainsi été condamnés sur ce fondement, avant l’introduction d’une loi spécifique en France.
Une deuxième méthode, plus radicale, a été adoptée par l’Allemagne et par l’Autriche. Ces pays ont fait le choix d’un « antinazisme constitutionnel ». La troisième technique consiste à pénaliser spécifiquement cette forme de discours. En France, la loi Gayssot du 13 juillet 1990 interdit la négation des « crimes reconnus par le Tribunal militaire international de Nuremberg ». Cette législation est venue parachever le dispositif mis en place pour combattre le racisme et la xénophobie en créant spécifiquement le délit de « contestation de crime contre l'humanité ».
Shoah
De nombreux auteurs ont d’emblée considéré cette incrimination inutile et susceptible d’avoir des effets pervers. Ils estiment que la législation interdisant l’incitation à la haine permettait d’atteindre un objectif identique tout en maintenant la liberté de tenir des débats utiles sur la question de l’histoire contemporaine.
Pierre Vidal-Naquet a dénoncé les dangers de toute sacralisation de la Shoah : «
La Shoah n'est pas une affaire de culte. Elle n'a pas à s'adapter aux variations de la politique israélienne. Il faut que les historiens travaillent et continuent à travailler ». Il rappelle qu’il n’y a rien de plus naturel et banal que la «
révision » de l'histoire. «
Le temps lui-même modifie le regard non seulement de l'historien mais du simple laïc ». Il renvoie au film
La Bataille du rail qui se présentait en 1946 comme un discours vrai sur la résistance des cheminots : «
Qui le revoit en 1987 y voit la description d'un monde idéal où tous, de l'ingénieur au lampiste, sont unis pour duper l'ennemi. L'histoire de la déportation a comporté elle aussi ses scories ». Les détracteurs de cette législation craignent qu’elle contraigne à des « vérités officielles » et renvoie à une vérité historique définie par un tribunal militaire.
(à suivre)