L’expert psychiatre Michel Dubec, en charge d’examiner Ilich Ramirez Sanchez, autrement plus connu sous le nom de Carlos, vient d‘être condamné à trois mois d’interdiction d’exercer par la Chambre nationale de l’Ordre des médecins pour violation du secret médical dans son ouvrage intitulé Le Plaisir de tuer , publié en 2007 au Seuil. Le secret est en effet la garantie principale de certains exercices professionnels. L’édition l’a souvent appris ses dépens, lorsqu’elle a voulu muer le médecin, le prêtre, l’avocat, l’espion ou le diplomate en écrivain ou lorsqu’elle brûle d’empiler les dossiers d’instruction en librairie. La violation du secret professionnel est sanctionnée par les articles 226-13 et suivants du Nouveau Code pénal. Le texte vise ainsi implicitement et notamment les médecins. La fameuse publication, en 1996, des souvenirs du docteur Gubler, ancien médecin du président Mitterrand, a ainsi provoqué une cascade de condamnations. La saga judiciaire du si justement nommé Grand Secret a en effet passionné toutes les instances, judiciaires comme ordinales. Elle s’est en particulier continuée devant la Cour de cassation le 14 décembre 1999 avant de se terminer devant la Cour européenne des droits de l’Homme le 18 mai 2004. Celle-ci a estimé que « la publication du Grand Secret s’inscrivait dans un débat d’intérêt général alors largement ouvert en France relatif au droit des citoyens d’être informés des affections graves dont souffre le chef de l’Etat, et à l’aptitude d’une personne se savant gravement malade à exercer de telles fonctions. En outre, le secret imposé par le président sur sa maladie et son évolution, que soutient la thèse de l’ouvrage, posait la question d’intérêt public de la transparence de la vie politique. » De plus, les magistrats européens considèrent « qu’une fois que le secret médical a été enfreint et que son auteur a été condamné pénalement et disciplinairement, il faut nécessairement prendre en compte le passage du temps pour apprécier la compatibilité avec la liberté d’expression d’une mesure aussi grave que l’interdiction générale et absolue d’un livre comme c’est le cas en l’espèce ». Cette décision a été perçue par les éditeurs comme une brèche soudainement ouverte dans les mécanismes du secret médical. Mais qu’on ne s’y trompe pas : la Cour européenne a fustigé la France en ce qu’elle a interdit en référé le livre, mais n’a nullement estimé injustifiées la plupart des autres mesures. Et elle a seulement levé la mesure d’interdiction entérinée par le juge du fond français, ce qui a permis aux éditions du Rocher de rééditer par la suite le livre originellement paru chez Plon. En effet, précisent les juges de La Haye, « lorsque le juge statua sur le fond, 40 000 exemplaires de l’ouvrage avaient déjà été vendus, celui-ci était diffusé sur Internet et avait fait l’objet de nombreux commentaires dans les médias. Dès lors, la sauvegarde du secret médical ne pouvait plus constituer un impératif prépondérant. En outre, cette mesure paraît d’autant plus disproportionnée qu’elle s’ajoute à la condamnation de la société Plon au paiement d’indemnités aux ayants cause de François Mitterrand. Dès lors, la Cour considère que lorsque le tribunal de grande instance statua, aucun besoin social impérieux ne justifiait plus le maintien de l’interdiction de la diffusion du Grand Secret ». Quant au Conseil d’Etat, appelé à se prononcer sur les sanctions déontologiques, il a jugé, le 29 décembre 2000, que « l’obligation de secret professionnel qui s’impose au médecin ne saurait être levée par la circonstance que le patient aurait lui-même publiquement fait part de son état de santé ou de certains aspects de sa vie privée ou que les informations susceptibles d’être diffusées seraient de nature à intéresser l’ensemble des Français au titre de l’histoire de France ». La Cour européenne des droits de l’Homme a été saisie à nouveau à propos de ces sanctions disciplinaires, consistant en la radiation pure et simple du Dr Gubler. Et elle a tranché le 27 juillet 2006, estimant que le Conseil de l'ordre des médecins s’était montré impartial… Michel Dubec n’est donc pas prêt de pouvoir exciper du précédent Gubler pour faire infirmer la condamnation dont il a fait l’objet.