Le 2 janvier à 10 heures, deux heures après l’ouverture, j’entre dans la grande salle des colis postaux d’Antananarivo. Elle est presque vide. Les employés sont occupés à s’installer à leurs postes de travail. Le début de la journée a dû se passer en échanges de vœux, je regrette presque de les bousculer. Je passe à la douane pour faire tamponner mon avis d’arrivée, je longe des bureaux où personne ne fait rien pour arriver à l’identification (carte d’identité, avis d’arrivée, signature), passage à la caisse pour payer la taxe de présentation en douane, réception du colis après une recherche toujours longue du préposé dans le classement aléatoire sur de grandes étagères métalliques (l’envoi vient du Livre de poche), retour à la douane, dont il est décidément beaucoup question, pour vérifier que je n’importe pas une marchandise frappée de taxes supplémentaires, inscription de l’arrivée de livres à mes nom et adresse dans le grand cahier prévu à cet effet, manipulation athlétique de celui-ci (il doit s’étendre sur plus d’un demi-mètre carré) et signature qui clôt la procédure (on ne s’ennuie pas à Tana). Petite surprise : je suis le premier à m’enregistrer pour 2009. J’affirme aux douaniers que cela leur portera chance, ça ne coûte rien. En fait, la chance est de mon côté : j’attendais avec impatience le Dictionnaire égoïste de la littérature française , de Charles Dantzig, il se trouve dans le colis. J’ai lu à sa parution tant d’articles qui me donnaient envie de m’y plonger, l’occasion m’est offerte, je ne vais pas la manquer. Il y a donc une dizaine de jours que je lis ce gros volume – en fait, il ne faudrait pas le lire, il faudrait le consulter, l’ouvrir au hasard, s’en couper une petite tranche de temps en temps, goûter la pertinence et l’impertinence, découvrir un auteur oublié au détour d’une page, s’interroger un jour sur ses propres goûts, le lendemain sur ceux de Charles Dantzig… Il le dit lui-même : impossible d’éviter les répétitions dans un volume de cette taille. Je confirme. A l’article Boileau , il cite : « J’appelle un chat un chat et Rolet un fripon » , phrase que je retrouve dans Français . Avec cette remarque supplémentaire : « et voilà Rolet classé. Il y a bien assez de livres à lire pour ne pas aller vérifier. » Intéressant : Dantzig ne se jette pas sur tout ce qui est imprimé, il avoue des paresses (toutes relatives, certes). A propos de Pierre Boulle, il fait une digression – son livre en est bourré – où il écrit : « Il faudrait que je lise Malaisie , d’Henri Fauconnier, prix Goncourt 1930, mais je n’en ai pas envie. » La flemme n’est pourtant pas dans ses habitudes, semble-t-il. Tout ce qu’il affirme repose sur les textes. Et il a mis à son programme une partie de ceux qu’il n’a pas lus, puisqu’il en reste : « La Fontaine a écrit onze pièces de théâtre qui, d’après Léon-Paul Fargue, « ne présentent aucun intérêt » ( Tableau de la littérature française ). C’est faux, elles ont au moins celui d’être de La Fontaine. Qui les a lues ? Fargue ? Les phrases les plus expéditives révèlent souvent une flemme. Parmi les onze, il y a une tragédie, Achille . La Fontaine écrivant une tragédie. D’ailleurs, elle est inachevée. Il faudra que je lise tout ça. » Je ne suis pas d’accord avec l’intégralité de ses avis, c’est bien le moins quand ses avis portent sur tant de livres et d’écrivains. Il m’énerve quand il donne l’impression de lire stylo rouge à la main, et de corriger certaines œuvres comme lui-même les aurait écrites – il aime bien tailler dans les fins. Je trouve pour le moins léger de dire de Simenon qu’il « écrit comme un train de marchandises » … Mais je me retrouve dans son fonctionnement de lecteur qui passe d’un auteur à un autre par affinités entre eux : « Adolescent, j’ai eu la plus vive affection pour Madame du Deffand : Montherlant avait placé une phrase d’elle en épigraphe d’un de ses livres. J’ai connu pire méthode, me disait hier le général MacArthur : de l’archipel Balzac aux îles Sterne, de là Luçon, Manille, et j’ai pris Mishima. Sauf que cela n’a pas de fin. Et c’est la littérature qui a pris possession de nous. » Invitation à une promenade sans autre but que le plaisir de lire…