
A leur naissance en Russie, les jumeaux Gladys et Vova ont d’abord jeté sur le monde « de grands yeux bleus parsemés d’éclats violets ». Petits chaussons à pompons blancs, linge brodé et hochets de bouleau souple, la vie paraît une sinécure. Ça se gâte avec la disparition de leur mère, partie « travailler » et contrainte d’abandonner sa progéniture à la babouchka. Une grand-mère de conte qui sait tout bien faire. Hélas, un jour elle s’écroule en plein marché. Pour nos jumeaux, pas d’autre issue que l’orphelinat. Un lieu qui n’a jamais bonne réputation, surtout quand il est russe… Avec ses cheveux blond et sa face ronde et rose, Gladys est dans les petits papiers du personnel, mais le petit Vova, avec sa boule à zéro, sa face anguleuse et son caractère rebelle, passe le plus clair de son temps à l’obscurcir en cellule d’isolement. Mais voilà que le gouvernement lance une campagne, « Un orphelin, une marionnette », qui va changer leur vie… Jusqu’au jour où un couple de parents adoptifs se profile à l’horizon. A vrai dire, c’est surtout Gladys qui a tapé dans l’œil d’une Française en mal de maternage et épouse d’un magnat du poisson. A Paris, Gladys devient la fille-objet de l’odieuse bonne femme qui l’infantilise, et Vova joue les apprentis factotums aux cuisines. Un état de servitude qui va les métamorphoser de fond en comble. A 15 ans, Gladys a perdu « sa beauté alanguie d’enfant sauvage » et s’est transformée en dondon boulotte affublée de robes rose à froufrous, souvent « enveloppée comme une dragée dans un costume d’Autrichienne fantaisie ». Quant à Vova, il a lui aussi limé ses griffes et donne du « oui Monsieur » à ses maîtres. Ironie du sort, eux qui aimaient tant les marionnettes sont devenus des pantins ! C’est pourtant par les marionnettes que viendra à nouveau le salut. Pas étonnant qu’Emmanuelle Caron ait écrit cette histoire de rédemption par le théâtre. « Si j’étais ministre de l’Education, j’inclurais le théâtre dans les programmes scolaires », lance cette auteure française, enseignante à Montréal. Un humour à tous crins, comme dans ce titre de chapitre « Russes blancs sur noir, plus d’espoir », des personnages parfois terrifiants comme la Baldoche, cette mère aussi adoptive qu’abusive, un univers de conte russe… Ce livre sait, tout comme ses deux protagonistes, se faire aimer. Fabienne Jacob