La directrice adjointe du CEIPI à l'université de Strasbourg répond aux questions de Livres Hebdo quant à une possible rémunération des auteurs et éditeurs sur la vente de livres d'occasion. Pour la juriste, instaurer un tel droit à rémunération nécessiterait une volonté politique au niveau de l'Union européenne.
Les auteurs et éditeurs ont-ils le droit, aujourd'hui, d'exiger une rémunération sur la vente de livres d'occasion ?
Aujourd'hui, non. Le droit qui pourrait s'appliquer est le droit de distribution, qui permet aux auteurs de contrôler la vente et la revente des exemplaires. Or le Code de la propriété intellectuelle prévoit qu'il s'épuise, c'est-à-dire que, à partir du moment où on a autorisé la première vente d'un exemplaire, on ne peut plus en interdire la revente.
En a-t-il toujours été ainsi, ou bien un droit d'auteur sur la vente de livres d'occasion a-t-il déjà existé en droit français ?
Avant la directive européenne de 2001, qui harmonise les droits essentiels conférés aux auteurs et titulaires de droits voisins, il s'agissait non pas d'un droit de distribution en tant que tel, mais d'un droit de destination, sans limites a priori : l'auteur avait le droit de contrôler le « sort des exemplaires », notamment leur revente. Il existait donc un droit théorique sur l'occasion, sans que celui-ci n'ait jamais été ni revendiqué ni appliqué. Et la théorie de l'épuisement mise en œuvre par la Cour de Justice de l'Union européenne pour concilier les droits d'auteur avec la libre circulation des marchandises impliquait déjà une limite. Depuis la directive de 2001, les choses sont très claires : l'auteur n'a pas de droits sur le livre d'occasion.
Lors de l'examen du projet de loi de finances 2025, des amendements, finalement non discutés, proposaient que les opérateurs en ligne vendant de l'occasion soient soumis à « une contribution » pour « compenser le préjudice économique » subi par les auteurs et les éditeurs. Cela vous semble-t-il nécessaire ?
Non. Il n'est pas nécessaire de mettre en place un prélèvement de nature fiscale pour rémunérer les auteurs. Tout d'abord, une contribution fiscale est normalement destinée au financement des dépenses publiques. Ensuite, elle était présentée dans ces amendements comme une contribution à verser, en compensation d'un préjudice - le texte vise aussi une rémunération... -, à un organisme de gestion collective. Mais pour avoir quelque chose à compenser ou une rémunération, il faudrait qu'il y ait un droit d'auteur « sur l'occasion », ce qui n'est pas le cas. Aujourd'hui, il n'y a pas d'assise juridique pour réclamer une telle compensation.
Le législateur français peut-il modifier la loi afin d'instaurer un droit permettant à l'auteur d'exiger une rémunération au titre du droit d'auteur pour la vente d'occasion du livre ?
Oui. On pourrait instaurer un droit à rémunération par exemple, sur le modèle du droit à rémunération pour copie privée. D'autres solutions existent. Mais le législateur français ne peut pas le décider seul, parce qu'il existe une harmonisation du droit d'auteur au niveau de l'Union européenne. Il faudrait donc modifier ou amender le droit de l'Union, soit en reconnaissant un droit de rémunération, soit en limitant l'épuisement des droits par exemple. Cela signifie qu'il faut une vraie volonté politique, non seulement au niveau de l'État français, mais aussi au niveau de l'Union européenne. S. L.