Sarko m’a tuer est en librairie depuis deux semaines et Nicolas Sarkozy ne s’est défendu des accusations de la juge Isabelle Prévost-Desprez que par un démenti en forme de simple communiqué. La matière à procès existe pourtant bel et bien… en théorie. Mais, en pratique, le calendrier électoral assure à Stock et à ses auteurs une immunité provisoire.   Précisons d’emblée que le passage litigieux (concernant le fait que Nicolas Sarkozy se serait fait remettre de l’argent liquide par Liliane Bettencourt) ne relève pas du recel de violation du secret d'instruction, tout bonnement parce que cette allégation n'est pas extraite du dossier d'instruction, seul couvert par ledit secret.     En effet, elle est le « verbatim » d'une conversation informelle entre la greffière de la juge et un témoin – l'infirmière de Liliane Bettencourt - après son audition. Et surtout, elle n'apparaît pas dans le procès-verbal, la magistrate ayant précisé aux deux journalistes signataires du livre que ces propos ont été tenus « hors PV ». En revanche, Isabelle Prévost-Desprez est tenue, comme tout magistrat, au devoir de réserve et ne peut pas s'exprimer sur une affaire dont elle a – ou a eu – la charge. Ce qui la regarde, elle (et sa hiérarchie), et ne peut être véritablement reproché à Stock. Quant à l'éditeur — et aux auteurs —, il peuvent en revanche être attaqués pour diffamation, puisque cette notion recouvre tout fait précis (en l’occurrence les « remises d'espèces à Nicolas Sarkozy ») qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération. La diffamation peut certes être combattue devant un tribunal si la personne mise en cause apporte la preuve de ce qu'elle avance ; ce qui est un peu compliqué dans ce cas de figure. D’autant plus que l’infirmière a nié dès la sortie du livre avoir tenu de tels propos. Ne restent que la greffière et d’éventuels autres témoins inconnus à cette l’heure pour venir, très hypothétiquement, tenter de fournir la preuve encore manquante. Par ailleurs, le livre n’indique pas à quel moment le supposé versement d’argent aurait eu lieu. Selon le statut de Nicolas Sarkozy à l'époque, l'attaque en justice peut donc reposer sur la diffamation envers un particulier ou envers une personne détentrice de l'autorité publique (si l’intéressé agissait en qualité de ministre). Ce sont surtout les peines encourues, plus lourdes dans le second cas, qui font la différence au sein de la loi du 29 juillet 1881. Il est encore possible d’extrapoler en imaginant que c’est pendant le mandat présidentiel actuel que se seraient déroulés les faits : l'offense au chef de l'Etat (dont chacun se souvient que Nicolas Sarkozy est friand lorsqu’il est traité à son tour de « pôv' con ») est susceptible d’être brandie par le seul justiciable en France à être en mesure d’user d’armes d’un autre âge contre le crime de lèse-majesté. Il faut toutefois mettre en regard la date de sortie du livre et le calendrier électoralo-judiciaire. À huit mois de la présidentielle, Nicolas Sarkozy, pourtant procédurier à souhait (du point de vue du barreau…), ne risque pas de se lancer dans un procès contre Stock. S'il attaquait, le président-candidat devrait le faire avant début décembre, pour cause de prescription (de trois mois à compter de la parution de l’ouvrage). Et la procédure inhérente au droit de la presse amènerait à une audience de plaidoirie qui se déroulerait au mieux en février-mars 2011 ; au pire, un peu plus tard, disons début mai, par exemple. On a déjà vu meeting de fin de campagne mieux orchestré. Sans oublier que les interventions de Nicolas Sarkozy au sujet de cet éventuel procès pourraient être décomptées de son temps de parole par le scrupuleux CSA. Si la procédure tardait – ce qui n’est pas la réputation de la chambre de la presse – l’audience se tiendrait peu ou prou en juin, après l'élection majeure. Las, l’affaire ne serait pas non plus rentable pour lui. Dans un état de grâce tout comme de défaite, il verrait son actualité entachée par cette croustillante affaire : un procès contre deux journalistes du Monde et Stock (c’est-à-dire Hachette) avec une milliardaire en fond de décor ; le tout à la veille des législatives… Même Jean-François Copé n’apprécierait pas : c’est dire si ce procès n’aura pas lieu ! Mais quid de Liliane Bettencourt, la grande oubliée de cette saga ? Sous tutelle, et au cœur d’un maelström judiciaire par trimestre, pas sûr non plus quelle veuille agir en diffamation pour renflouer sa cassette.
15.10 2013

Les dernières
actualités