La sélection du 46e prix du Livre Inter a été révélée,mardi 7 avril au matin sur France Inter, confirmant, malgré la pandémie, le statut de rendez-vous immuable du Livre Inter, qui sera proclamé le 8 juin, comme prévu, sur les ondes de l’antenne.
Pour parvenir à cette sélection, il a fallu s’adapter à la situation de confinement provoquée par la pandémie de Covid-19. La journaliste Eva Bettan, chef d’orchestre, « mais pas arbitre », du prix littéraire confirme à Livres Hebdo que « tout prend plus de temps mais on peut arriver à le faire à distance ».
Pour cela, il faut modifier quelques règles historiques du prix, qui en est à sa 46e édition. Ce n’est pas rien tant « le système est verrouillé » de son propre aveu. « Les problèmes surgissent au fur et à mesure, on avance en marchant » mais « c’est moins compliqué que je ne me l’imaginais », explique-t-elle.
Cette année, il a fallu pallier le fonctionnement moins régulier de la Poste. Les colis avec les ouvrages à lire sont remplacés par des livres numériques envoyés par courriel à chacun des jurés. « C’est la première fois que je lis un livre sur mon ordinateur. J’avais bien une liseuse mais ne m’en étais jamais servie », avoue Eva Bettan. Evidemment, elle regrette de ne pas pouvoir commenter ses livres au crayon, dans les marges.
Du cahier à spirales à WhatsApp
Le calendrier n’a pas subi de modifications. La cinquantaine de critiques littéraires qui choisissent leur livre préféré en vue de la sélection a été contactée dès la mi-février pour un rendu mi-mars. Le principe reste le même depuis les débuts du prix : des romans écrits en français, parus depuis la rentrée littéraire d’automne et n’ayant pas emporté de prix majeurs.
Eva Bettan ouvre alors son grand cahier à spirales, note le nom des auteurs, et comptabilise les votes avec des bâtons. S’il y a un ex-aequo – « cela n’a dû arriver qu’une ou deux fois », selon elle –, le tirage au sort décide.
S’ouvre alors la période du choix des jurés. 2400 lettres de candidatures, magnifiques, intimes ou attachantes, reçues jusqu’à début mars. Toute une équipe de bénévoles de la station se répartit le courrier pour déterminer qui seront les douze femmes et les douze hommes qui composeront ce jury, paritaire depuis sa création.
Ils sont 24 à lire ces missives, divisées par pôles géographiques. « On ne retient que deux Parisiens et deux Franciliens, ce qui forcément favorise les régions moins peuplées », nous détaille Eva Bettan, qui ajoute : « Il y a une part de subjectivité évidente ».
L'intégrité avant tout
Habituellement, les lecteurs se réunissent durant toute une journée avant de délibérer. « C’est une vraie charge de travail pour ceux qui participent », précise la journaliste. Cette année, la réunion s’est muée en groupe WhatsApp. « C’est moins drôle à distance, mais on l’a fait », admet-elle. Traditionnellement, les jurés élus ne sont pas prévenus. « Mais la vie des gens a changé depuis un mois. Il fallait savoir s’ils voulaient continuer à le faire ». Eva Bettan les appelle donc un à un, et n’a pas essuyé de refus, que ce soit de la part d’un pilote de ligne ou d’une infirmière en arrêt maladie jusqu’à fin avril.
« On a cependant dû ajouter un appendice au règlement », confie-t-elle. « S’ils ne peuvent pas participer cette année, parce que l’une est réquisitionnée ou l’autre ne peut pas venir de Londres, ils seront automatiquement jurés en 2021. » Une entorse puisque le prix du Livre Inter est un triple « one shot » : une seule fois lauréat, une seule fois président du jury – cette année, Philippe Lançon –, et une seule fois juré. Les quelques jurés suppléants auront la charge de les remplacer, cette année, si c’est nécessaire.
« C’est bon pour le moral »
Pendant cette période de confinement, ils liront les livres en version numérique, car les éditeurs, même en activité partielle, ont joué le jeu, et délibéreront en visioconférence.
« On s’adapte pour quelque chose de joyeux, c’est bon pour le moral, c’est bon pour tout le monde », s’enthousiasme-t-elle, consciente qu’un prix littéraire peut vivre en période de confinement, contrairement à une épreuve sportive ou un festival de cinéma. Bien sûr, la journée où tous les jurés se rencontrent lui manquera. « On se découvre tous, ça crée des liens, il y a même un blues du jury après. »
Si elle n’intervient jamais dans le choix du lauréat, si elle n’avoue jamais ses préférences, si elle refuse toute influence, si elle assume d’être « obsessionnelle de cette rigueur », c’est aussi pour que le prix reste le plus intègre possible. « C’est un prix qui se fait au sein de la rédaction, et qui est aimé des libraires et des auteurs. C’est une mission de service public, où mon rôle est de soutenir des livres et de donner du pouvoir aux auditeurs », assume celle qui aura passé une grande partie de sa vie professionnelle dans la maison ronde.
Eva Bettan est certaine d'une chose : après cette édition pas comme les autres, « on recommencera la vraie vie et j’annoterai les marges de mes livres au crayon, comme avant. »