"Les rues ont perdu leurs petits pavés […]. Dans les interstices poussent des herbes que l’on trouve habituellement sur les talus : pissenlits, orties, mouron, folle avoine, rumex, plantin, chicorée, bouillon-blanc." En suivant la déambulation du narrateur de Dans la chambre d’Iselle de François Dominique, on reconnaît Paris, ses quartiers, ses rues, quoiqu’on se doute de quelque changement. Dès les premières pages, on lit : "Même ceux qui n’ont pas subi la claustration dans les abris, l’air toxique, les chaleurs mortelles suivies de froids tout aussi mortels, craignent les effets d’une nouvelle convulsion du globe." Puis apparaissent les mots "fin des séismes", ou "victoire de la Résistance".
Nous sommes dans le futur, à Paris-la-Neuve : une guerre globalisée a embrasé le monde, la planète a été ravagée par les dérèglements climatiques. Aujourd’hui, la nature et la justice ont repris leurs droits. La ville est gagnée par une végétation luxuriante. On a aboli la finance qui avait été l’instrument de l’oppression d’Octopus, la "jeune démocratie" triomphante, nommée "la Reconstruction", veille au bonheur de tous. Le hic dans cette utopie sociale, c’est que l’humanité est menacée par la stérilité : faute de procréation naturelle on clone, mais pas assez. Franck, musicien, et Lucy, biologiste, semblent faire exception à la règle : ils attendent un bébé du nom d’Iselle. Mais à la tendre inquiétude d’une vie qui arrive (de quel monde va-t-elle hériter ?) se double pour Franck l’angoisse de ne pas pouvoir achever le finale de son opéra. Chat sans yeux, horloger bègue, musicien-botaniste-ornithologue… L’auteur de Solène (Verdier, 2011), récit d’une fille vivant avec sa famille après un cataclysme, renoue avec le roman d’anticipation post-apocalyptique et signe une réflexion onirique sur le langage et la création. Sean J. Rose