10 JANVIER - ROMAN France

C'était il y a dix ans, un bloc de douleur pure et de grâce mêlées tombé dans le paysage littéraire français. Avec Mort d'un silence (Gallimard, 2003), libre variation autour de la figure tragique du père, Clémence Boulouque imposait mieux qu'un nom, un style. Coup d'essai et de maître certes, mais annonçait-il vraiment une oeuvre à venir ? Avec un bel appétit, son auteure entreprit la décennie suivante, entre romans (quatre, inégaux, mais toujours intrigants et audacieux), essai buissonnier et gourmand (le très beau Au pays des macarons, Mercure de France 2005), critiques ou recueil d'entretien, d'en convaincre ses lecteurs. Si jamais sa prolixité a pu parfois quelque peu l'égarer, ce même lecteur, n'ayant jamais pu oublier son éblouissement initial, le retrouvera comme assourdi et plus méditatif avec cet impeccable Je n'emporte rien du monde.

De quoi s'agit-il ? A nouveau de deuil et de transfiguration. A nouveau d'une absence au monde, celle de Julie, une fille de 16 ans qui "aimait les livres comme personne, leur donnait une existence, faisait d'eux des individus. [...] Elle jaugeait les classiques avec férocité, en égale, elle aimait ne pas aimer, n'avait peur de rien, elle ne respectait ni les choses ni les gens par principe, par obéissance, mais seulement lorsqu'elle les croyait dignes de passion et alors elle les révérait". Cette adolescente était au lycée la meilleure amie de la petite Clémence, et son départ volontaire (une fenêtre ouverte, trop de ciel, plus d'envie) acheva de convaincre la future romancière que son besoin de consolation resterait à jamais inassouvi.

Beau livre vraiment que ce Je n'emporte rien du monde par lequel Clémence Boulouque réintroduit le "protocole confessionnel" qui la réinvente en écrivaine. Une époque, les années 1990 avec leurs tics d'appartenance (groupe de musique, vocabulaire, lectures partagées), défile tout au long de ce court récit qui porte aussi, et peut-être surtout, une réflexion douloureuse, mais où percent parfois les accents d'un paradoxal apaisement, sur l'exténuante présence des absents, l'écriture thaumaturge, les exils intérieurs. On n'est pas si loin parfois de la sagesse souriante et mélancolique de Présence des morts d'Emmanuel Berl. C'est dire l'ambition de ce livre, l'horizon qui s'ouvre à ceux qui viennent.

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