24 avril > Conte pour adultes France

Puisque la forme choisie par Erik Orsenna pour cette Fabrique des mots est à nouveau celle du conte : il était une fois…

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Il était une fois, dans une île des Caraïbes francophone, un dictateur, le président à vie Vidiadhar Surajprasad Nécrole, qui décide un triste jour d’interdire tous les mots « inutiles » de sa langue, n’autorisant que la pratique de douze d’entre eux. Des verbes fondamentaux, de naître à mourir, sans oublier acclamer. Le but de cette réforme, outre d’améliorer la productivité en supprimant le bavardage, est de museler la population et, à terme, de favoriser l’anglais. Les premières victimes sont, comme dans toutes les dictatures, les livres : ainsi Capitan, le collectionneur de dictionnaires, voit-il sa bibliothèque partir en fumée. Viennent ensuite les enfants, comme Jeanne, la narratrice, 10 ans à l’époque, à qui leurs maîtres sont chargés d’inculquer la bonne parole. Mais Mademoiselle Laurencin, l’institutrice, n’est pas du genre à se soumettre. Petit à petit, tout en faisant semblant de se conformer aux directives officielles, elle va instiller dans les chères têtes brunes qui lui sont confiées une vertu cardinale, le doute, avec son compère, l’esprit de résistance. « Les mots sont nos briques », dit-elle.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Mademoiselle Laurencin va entraîner ses élèves dans un périple initiatique à travers l’étymologie afin de les mobiliser au service de la défense de leur langue, leur patrimoine le plus précieux. Au passage, ils croiseront Monsieur Henri, leur chanteur national, Colette et Marguerite, deux sœurs, anciennes institutrices, l’une militante du latin, l’autre du grec. En suivant la Carte de Tendre, ils découvriront les mots d’amour, libérés de la volière où on les avait emprisonnés, tout comme les mots étrangers, victimes d’un véritable pogrom linguistique, tandis que des « survêts à capuches » viendront leur prêter main-forte et les inviter à leur parler « caillera ».

Comme on est dans un conte, tous publics mais plutôt pour adultes, l’histoire se termine bien, dans une ancienne mine d’or reconvertie en « fabrique des mots », laquelle ressemble un peu à la Commission du dictionnaire de l’Académie française. Erik Orsenna, Immortel facétieux, s’est à l’évidence bien amusé en écrivant ce livre, joliment illustré par Camille Chevrillon, où il se taquine lui-même ainsi que quelques autres (Naipaul, par exemple). Mais tout conte a une morale, et celle-ci est transparente. La fabrique des mots se veut un vibrant et tonique plaidoyer en faveur de la langue française, que nous avons en partage avec des centaines de millions de francophones et qui se trouve menacée, non pas tant d’invasion étrangère que par les ignares, les technocrates, les politiques, les décideurs, les publicitaires et autres militants du sabir « globish », qui s’acharnent à la détruire. « Cette histoire est dangereuse », dit l’auteur à la fin. En effet. Parmi tous les autres maux qui l’accablent, la France devrait s’attaquer en priorité à celui de sa langue qui fout le camp, vital.

Jean-Claude Perrier

Les dernières
actualités