Loin des seuls essais, les sciences humaines et sociales investissent d'autres rayons. Et à raison. « Les SHS ne doivent rien s'interdire, y compris des formats hybrides », assure Philippe Charlier, directeur de la collection « Terre humaine » chez Plon. Qu'il s'agisse de bande dessinée, de beau livre ou de fiction, la diffusion des savoirs sous d'autres formats permet ainsi des approches « plus accessibles et complémentaires », estime l'éditeur.
En bande dessinée
L'essor de la bande dessinée documentaire profite aux thématiques de sciences humaines et sociales. Des collections comme « La petite bédéthèque des savoirs » (Dargaud, 2016-2019), « Sociorama » (Casterman, 2016-2020) ou encore « Octopus » de Delcourt ont donné la part belle aux SHS. Si toutes les thématiques ne se prêtent pas à une adaptation illustrée, « la transposition en bande dessinée de certains sujets est susceptible de toucher de nouveaux lecteurs », estime Bruno Auerbach, directeur littéraire à La Découverte. La maison a fait quelques « incursions » dans le 9e art avec des titres comme Syndrome de l'imposteur de Claire Le Men (2019) ou Histoire dessinée des juifs d'Algérie de Benjamin Stora et Nicolas Le Scanff (2021). Et l'éditeur prévoit de lancer, en mai prochain, « une coédition avec Delcourt pour adapter certains de [ses] ouvrages en bande dessinée ». Au Seuil aussi, la diversification est de mise avec l'arrivée au département Essais, fin janvier, de Thomas Ragon, auparavant éditeur chez Dargaud. L'occasion pour Vincent Casanova, directeur adjoint pour les sciences humaines, d'imaginer « des volets d'application des SHS sur de nouveaux formats ». Pour l'éditeur, cette alliance entre BD et SHS permet de « renouveler et élargir » le champ et représente « l'aboutissement d'une dynamique qui existe mais qu'il s'agit de pérenniser ». Les éditeurs scientifiques ne sont pas en reste. « Si nous voulons montrer que nous ne sommes pas dans notre tour d'ivoire, nous devons donner des signaux en publiant des ouvrages illustrés et non intimidants », affirme Blandine Genthon, directrice de CNRS Éditions. En mars dernier, la maison a ainsi inauguré sa collection « Tout comprendre (ou presque) » avec un titre sur le climat signé par le collectif Bon Pote et Anne Brès avec les illustrations de Claire Marc. « Il s'agit d'un livre très illustré avec des sketchs notes entre infographie et bande dessinée, permettant d'avoir une approche pédagogique et synthétique du sujet », explique Blandine Genthon. Et cette mise en forme séduit : l'ouvrage s'est écoulé à plus de 40 000 exemplaires et s'est hissé à 23 reprises dans les meilleures ventes Essais.
En beau livre
Les SHS revêtent également leurs plus beaux habits. Au Seuil, certains titres des historiens Georges Vigarello ou Michel Pastoureau sont ainsi proposés en beaux livres. « Avec l'illustré, nous pouvons aborder les sujets de manière plus ludique, affirme Ariane Lainé-Forrest, directrice d'E/P/A. Le champ des SHS est si vaste que les possibilités peuvent être infinies. » Avec une limite pourtant. « Certains sujets sont difficiles à illustrer de manière spectaculaire », admet l'éditrice. Il faut alors trouver un angle particulier pour traiter une thématique, comme avec Love and justice de Laëtitia Ky (8 mars), une artiste ivoirienne qui témoigne « de la représentation des femmes noires à travers des sculptures créées avec ses cheveux ».
En fiction
Le pari est osé. Et si la littérature se mettait au service des SHS ? Directrice éditoriale chez Flammarion, Maxime Catroux est convaincue que « les lecteurs veulent être tenus en haleine quand ils lisent un essai et apprendre des choses en lisant un roman ». Elle a ainsi publié en 2017 Le clan Spinoza du philosophe Maxime Rovère, un titre qui « marie le roman et la philosophie ». Et ce titre, « salué par les spécialistes », a bien fonctionné en librairie avec 15 000 exemplaires vendus. L'éditrice compte poursuivre l'aventure avec deux autres titres prévus pour 2023. Dans la même veine, Charlotte Groult porte chez Cambourakis le lancement en avril de la collection « Radeau ». « Les textes de la collection veulent se saisir des SHS, sans s'y enfermer, et mettre en dialogue plusieurs types d'écritures et de langages pour rendre compte d'expériences collectives et sensibles », détaille l'éditrice. Prévu pour le second semestre, le deuxième titre de la collection porte sur la disparition et quatre femmes anthropologues y « proposent chacune un texte personnel de fiction en s'autorisant à dire " je" », explique Charlotte Groult.
En jeunesse
Enfin, le champ savant s'ouvre aux jeunes lecteurs. Éditrice chez Sciences Humaines Éditions, Agathe Guillot en est persuadée : « On n'est jamais trop jeune pour appréhender les SHS ». Elle a lancé en avril dernier la collection « Comment sait-on ? » pour les enfants de 8 à 11 ans. Celle-ci a « vocation à faire comprendre aux enfants comment se construit le savoir scientifique et à développer leur esprit critique » à travers des thématiques comme l'histoire, le langage des oiseaux ou la vie et la mort. Grâce à une maquette aérée et dynamique, la maison transmet de nombreuses informations tout en permettant aux enfants de s'amuser. Et à la fin de chaque ouvrage, Agathe Guillot « propose une sélection de métiers en lien avec le thème et recense les sources pour aussi montrer aux parents que le travail est sérieux ». De même, Mathieu Mulcey, fondateur d'Eliott Éditions, mise sur les jeunes lecteurs en lançant à l'automne prochain la collection « Fabulo », composée de contes philosophiques à destination des 7-11 ans. « Le conte est une entrée parfaite en philosophie », affirme l'éditeur. Chaque titre portera ainsi sur un thème « accessible » comme « les apparences, l'amour ou l'amitié », avec l'objectif de « susciter un dialogue, une conversation philosophique entre les parents et les enfants ».