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Québec : décollage immédiat

Vue sur le Saint-Laurent et le Chateau Frontenac, à Québec - Photo Michael Runkel / Robert Harding RF / robertharding via AFP

Québec : décollage immédiat

Elle s’est longtemps cherchée et elle s’est bel et bien trouvée. Inventive, décomplexée, à la croisée des anciens et des nouveaux mondes, la littérature québécoise, mise à l’honneur cette année lors du Festival du livre de Paris, fait feu de tout bois. France, prends garde !

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Par Pauline Gabinari
Créé le 15.04.2024 à 17h33

« Je suis tellement ému. Il y a vingt ans, on rêvait de faire de la littérature à Montréal et maintenant, c’est un secteur si dynamique ! ». Perché sur un tabouret, sous les dizaines de plantes dégoulinant du plafond du bar Suzanne, Alain Farah échange avec son amie Marie-Hélène Poitras. Auteurs tous les deux, ils ont commencé l’écriture il y a vingt ans dans un contexte éditorial québécois assez fermé. « On a vu tellement de copains abandonner au fil des années », se désole l’auteur de Mille secrets mille dangers (Le Quartanier, 2021). Pas de doute, la situation a bien changé. Festival du livre de Paris, Étonnants Voyageurs, Festival international de la bande dessinée d’Angoulême...

Les rendez-vous littéraires hexagonaux s’arrachent la destination comme on se jette dans une piscine pas trop bondée au cœur de l’été. Côté auteurs, c’est encore mieux : Médicis pour Kevin Lambert, Femina des lycéens pour Éric Chacour et Renaudot des essais en 2020 pour Dominique Fortier... Les prix pleuvent pour les Québécois. « Il y a huit ans, je devais travailler très fort pour que les libraires français ouvrent mon catalogue mais, depuis quelques années, la dynamique a vraiment changé. Je remarque de plus en plus d’engouement de leur part », abonde Alexandra Valiquette, directrice des droits chez Québec Amérique, preuve à l’appui : 8 500 exemplaires du Roitelet de Jean-François Beauchemin se sont écoulés en France contre 1 500 au Québec.

Une véritable transformation du secteur qui s’explique par l’arrivée (et surtout la réussite) fulgurante de petites structures éditoriales telles qu’Alto, Héliotrope, Le Quartanier, La Peuplade ou encore Le Cheval d’août. « Alto a été la première maison à briser le monopole des groupes. Elle a ouvert la voie, explique la journaliste Chantal Guy. Désormais, les jeunes auteurs vont naturellement vers les nouvelles maisons », ajoute celle que l’on surnomme la « cheerleader de la littérature québécoise ». Sur place, d’ailleurs, la jeunesse est à l’œuvre. Dans les bureaux des maisons et durant les rencontres avec les auteurs, les moins de quarante ans sont pléthore. Les écoles, comme le master de recherche et création mis en place dans plusieurs universités du Québec, ont amplement participé au mouvement. Parmi les auteurs tout droit sortis de ces formations, on retrouve Kevin Lambert, dont l’enseignante était l’écrivaine Catherine Mavriakis. « Dans ces cours, personne ne va te dire comment raconter ton histoire. L’idée est plutôt de pousser tout le monde vers son objectif, comme peut le faire un éditeur », raconte l’écrivain multiprimé de 31 ans. Un cercle vertueux puisque Kevin Lambert donne à son tour des cours à l’université. D’autres comme Emmanuelle Pierrot, dont le premier roman, La version qui n’intéresse personne, est sorti en septembre dernier chez Le Quartanier, ont été découverts grâce à un programme de tutorat de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ). « Cela donne des premiers romans qui sont absolument extraordinaires. On se dit : mais d’où sortent ces auteurs ? », se réjouit Chantal Guy.

Au contact de cette nouvelle génération, la littérature québécoise a retrouvé les réalités de son pays en se réconciliant avec sa langue, une verve vive teintée d’oralité et d’américanité. « Dans les années 1960, écrire en québécois était un acte politique. Aujourd’hui, c’est différent. Notre but n’est plus d’affirmer quoi que ce soit, mais de s’affranchir et de s’ouvrir sur le monde », explique Dominique Scali qui, avec son roman Les marins ne savent pas nager, a puisé dans le joual et les expressions de l’Acadie. De même, les éditeurs font le choix de ne plus transformer leur texte pour le marché français. « Au début, on retravaillait les textes que nous diffusions en France, ou on y ajoutait un lexique, mais maintenant, on ne le fait plus », affirme Simon Philippe Turcot, directeur général de La Peuplade, avant de reconnaître : « Nous faisions aussi ça car, il y a encore quelques années, les systèmes de diffusion français maintenaient une pression implicite en demandant des textes très “français”. » Laboratoire d’oralité, mais aussi d’écriture inclusive et de nouvelles formes affranchies du genre, la littérature québécoise s’impose au contraire sur le territoire de la liberté.

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