La question est récurrente signe d'un trouble des temps. Sa définition par les collections n'est plus unique ou dominante. La bibliothèque comme espace public ou « troisième lieu » vient semer le doute et la discorde. La biblioblogosphère s'agite (par exemple chez D. Lahary )... Bertrand Calenge a manifesté un agacement intéressant dans son blog . Sa prise de parole est soutenue par plusieurs professionnels lassés de constater le succès réel de la notion de « troisième lieu ». Il soutient que l'espace de la bibliothèque ne saurait suffire à définir cette institution et il rappelle l'importance de l'offre documentaire refusant de réduire le projet à celui du délassement du corps ou de la consommation. Il cherche «  en vain une intention politique forte dans les différentes affirmations et les exemples mis en exergue  ».  Comment ne pas être d'accord ? C'est possible en réfléchissant sur la notion de « politique ». La définissons-nous par son projet ou par ses résultats ? Peu de tenants (y compris les plus enthousiastes) du « troisième lieu » sont hostiles aux valeurs d'éducation, de Raison, d'autonomie individuelle. Si la politique ne se résume pas à son projet, force est de constater que la multiplication des bibliothèques (y compris avec de belles collections) n'a pas suffit à produire une démocratisation du savoir. Tendanciellement (ce qui signifie que des exceptions sont possibles) les bibliothèques ont peiné à élargir la base sociologique de leurs publics comme si le projet politique, aussi généreux soit-il, avait avant tout convaincu ceux qui étaient dans les conditions pour le partager. La contradiction entre le projet et le résultat fragilise l'adhésion d'une partie des professionnels à ce discours longtemps dominant. Cela explique sans doute le succès d'un discours alternatif chez les professionnels. A défaut de pouvoir atteindre des idéaux, l'idéal consisterait à satisfaire les aspirations concrètes des citoyens. L'ambition politique (au sens du projet) est bien sûr moindre mais pas au sens de la quête de résultats. Le succès réel d'établissements conçus avec une autre vision qui met l'usager (et pas seulement le lecteur) au centre, à l'étranger comme en France (pensons à Signy-l'Abbaye, L. Michel à Paris, Condé-sur-Noireau et la liste s'allonge...), conforte ceux qui sont prêts à penser autrement la bibliothèque. On peut porter un jugement péjoratif mais l'adhésion visible de la population à cette  « nouvelle bibliothèque » fournit une reconnaissance à des professionnels désorientés à juste titre et des arguments par rapport aux élus et à leurs inquiétudes budgétaires. Sur le fond, on pourrait vouloir porter l'accent sur une politique éducative audacieuse. Hélas, pour des raisons de finances publiques mais tout autant de blocages du monde de l'éducation (F. Dubet et d'autres en ont pointé de nombreux), aucun camp partisan n'a les moyens ou l'intention d'un tel chantier. On ne voit pas comment les bibliothèques pourraient lutter seules alors qu'elles ne peuvent obliger les citoyens à les fréquenter... Si en revanche, elles savent se montrer attrayantes et en phase avec les attentes (y compris scolaires) de la population, peut-être pourront-elles apporter leur modeste contribution (qui peut être décisive pour quelques individus). Pour reprendre la formule « du pain et des jeux » utilisées par B. Calenge, mieux vaudraient donc les jeux s'ils permettent l'éducation que l'absence de jeux et d'éducation... Un autre argument ouvre sur un débat. Les nouveaux services impliquent des compétences qui ne sont pas celles des bibliothécaires («  de tels lieux n'ont pas besoin de bibliothécaires  » écrit B. Calenge). Ce serait suicidaire pour ceux-ci de militer pour une conception de la bibliothèque pour lesquels ils ne seraient pas compétents... L'argument est rationnel mais il interroge : est-ce aux professionnels de définir l'institution et les compétences de ses agents ? Doit-on maintenir une institution afin qu'elle demeure conforme aux compétences de son personnel ? Cela n'est pas possible car cela conduirait à une fixité de la bibliothèque là où il convient au contraire de la penser comme un organisme vivant. L'évolution nécessaire des bibliothèques doit être pensée et explicitée de façon à ce que les formations et les recrutements puissent être reformulés. Cette nécessité concerne les professionnels sans quoi d'autres pourront imposer leur vision... Ainsi, n'opposons pas le « troisième lieu » et la bibliothèque, pensons plutôt la « bibliothèque troisième lieu », son visage, ses services et son rapport à la population. Tenons ce débat !  
15.10 2013

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