Qui paiera les dettes de Virgin ?

Qui paiera les dettes de Virgin ?

Révélant la fragilité des grandes surfaces culturelles, les difficultés de Virgin ont des répercussions sur l'ensemble de la chaîne du livre.

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avec Créé le 05.04.2014 à 03h31 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Manifestation des salariés de Virgin devant le tribunal de commerce de Paris.- Photo OLIVIER DION

Les grandes surfaces culturelles ont été particulièrement fragilisées par une année 2012 difficile, et leur santé inquiète les éditeurs et les distributeurs. La Fnac doit être introduite en Bourse dans les prochains mois, Chapitre est dans une situation telle que ses fournisseurs réfléchissent à des mesures spécifiques pour limiter les éventuels risques d'impayés, et Virgin a été placée en redressement judiciaire pour une période de quatre mois.

Chez Virgin, les livraisons de livres, suspendues au début de janvier à la suite de l'annonce du dépôt de bilan, ont repris avec la réouverture de comptes assortis de nouvelles conditions de paiement : l'enseigne peut acheter mais doit payer au comptant ou d'avance via des versements mensuels. En revanche, pour les marchandises entrées en magasin avant le 14 janvier (date de mise en redressement judiciaire) et non payées, les créances ont été gelées. En vertu de la "convention de ducroire", ce sont ceux qui facturent les livres qui assument les impayés, en l'occurrence les diffuseurs ou les distributeurs. Pour chacune des principales structures du secteur, le montant des créances oscille entre 2 et 5 millions d'euros. Etonnamment, la palme ne revient pas à la première d'entre elles, Hachette Distribution. Comme l'explique Ronald Blunden, directeur de la communication d'Hachette, "les encours avaient été plafonnés à 3,5 millions d'euros depuis avril 2012". C'est donc à ce niveau que se situent les créances d'Hachette, filiale de Lagardère, encore actionnaire, rappelons-le, à 20 % de Virgin. D'autres, moins précautionneux, espèrent réduire la douloureuse en suscitant des retours de la part de Virgin, qui n'a toutefois guère intérêt à le faire.

15 millions de dettes. En l'état actuel, on peut au moins estimer le montant global des dettes, dans le livre, autour de 15 millions d'euros, voire un peu au-dessus. Un niveau qui s'explique par la pratique des offices et l'application de délais de paiement à 60 ou 90 jours mais aussi par l'importance des achats effectués pour les fêtes de Noël, même si une certaine prudence était déjà de mise tant du côté de l'acheteur que de ses fournisseurs.

Ces derniers se disent toutefois surpris par la brutalité avec laquelle Virgin a déposé le bilan, début janvier. Comme le résume Hélène de Laportalière, directrice commerciale de la Sodis, "rien ne laissait présager une telle accélération. Au 30 novembre, les échéances étaient encore réglées normalement et, à la mi-décembre, la direction de l'enseigne avait envoyé un mail pour confirmer le paiement des créances dues au 31 décembre".

Aujourd'hui, beaucoup de professionnels s'étonnent du timing pour le moins opportuniste du dépôt de bilan. D'autres veulent croire qu'il résulte du blocage inattendu de la cession du bail du magasin des Champs-Elysées qui devait rapporter 20 millions d'euros de trésorerie début janvier.

4 % du marché du livre. Au-delà du risque financier pour les diffuseurs-distributeurs de ne jamais revoir les sommes dues par Virgin si l'entreprise est mise en liquidation ou si elle est reprise sans les dettes, les éditeurs encourent eux aussi un risque, mais d'ordre commercial. Avec un chiffre d'affaires dans le livre de l'ordre de 100 millions d'euros, Virgin représente près de 4 % du marché. Compte tenu de l'importance accordée dans ses magasins à certains secteurs éditoriaux comme la BD, l'enseigne représente même, pour certains éditeurs, jusqu'à 10 % de leurs ventes. Bien sûr, dans le cas d'une liquidation, cette demande ne serait pas totalement perdue. Elle se reporterait sur les librairies de centre-ville, voire sur Internet. Mais lorsqu'un point de vente ferme, on sait très bien qu'une partie, plus ou moins importante, de son activité ne se retrouve nulle part, créant ainsi un manque à gagner pour l'interprofession. En outre, comme le note Thierry Atzori, directeur général de Delsol, «la disparition d'une enseigne comme Virgin aurait aussi pour conséquence de faire perdre à l'offre de la visibilité".

Dans un registre autre que commercial et financier, Stephen Carrière, directeur éditorial de la maison Anne Carrière, pointe surtout les risques humains, sachant que Virgin emploie encore 1 000 salariés dans ses 26 magasins. «Il y a de très bons libraires qui dans le cas d'une liquidation pourraient perdre leur emploi. Combien parviendront, dans le contexte actuel, à se replacer ailleurs ? Au final, le secteur risque de perdre beaucoup de compétences. C'est peut-être le plus dommageable."

Heureusement, à ce jour rien n'est perdu. Des pistes émergent pour limiter les dégâts avec la reprise partielle de magasins par des enseignes culturelles ayant davantage le vent en poupe, comme Cultura ou Furet du Nord, ou encore avec le projet de "souk culturel" porté par Patrick Zelnik, patron de Naïve et ancien président de Virgin France (voir LH 938 du 25.1.2013, p. 33).

05.04 2014

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