3 octobre > Roman Inde

Rabindranath Tagore- Photo DR

Pour célébrer Rabindranath Tagore (1861-1941), monument de la culture mondiale récompensé en 1913 par le prix Nobel de littérature - le seul écrivain indien dans ce cas à ce jour -, Zulma continue de poursuivre la publication de ses œuvres inédites en français, fort nombreuses, grâce à France Bhattacharya, laquelle en assure également la traduction depuis le bengali. Et non l’anglais, comme cela se pratique en général. Le lecteur peut ainsi apprécier au plus près le style de l’écrivain, si particulier, avec ses traits d’humour, ses raccourcis, ses apartés.

Kumudini est un roman tardif, publié par Tagore en 1929, et qui mit du temps, dans son pays même, à être traduit en anglais. Peut-être parce qu’à travers l’histoire tragique qu’il fait vivre à ses personnages, l’écrivain touche un certain nombre de sujets extrêmement sensibles par rapport à la tradition indienne hindoue, où religion, culture et mœurs sont indissolublement mêlées.

L’origine du drame remonte à plusieurs générations, à l’antagonisme viscéral entre deux grandes familles : les Chatterji, une lignée de brahmanes de très haute caste, autrefois zamindars, opulents propriétaires terriens, aujourd’hui déchus. Vipradas, le fils aîné et chef de famille, un homme moderne, positiviste, vit dans la gêne. Féministe, il a offert à sa jeune sœur, Kumudini, une excellente éducation. Cultivée, musicienne virtuose du esraj, une sorte de violoncelle, elle est aussi très pieuse, superstitieuse, follement éprise du dieu Krishna, l’époux idéal. Les Chatterji sont à la merci des Ghoshal, leurs ennemis ancestraux, brahmanes mais de caste inférieure, qui, outrageusement enrichis, se comportent en parvenus et ont même racheté toutes les hypothèques souscrites par Vipradas. Le chef du clan Ghoshal s’appelle Madhusudan, et rêve de venger les humiliations subies par les siens. Il déteste les Chatterji, et Vipradas. Mais, en Inde, le mariage est le plus souvent arrangé, pour des raisons très prosaïques. Kumudini va donc devoir épouser Madhusudan, et l’accepte librement. Par devoir, mais aussi parce qu’elle rêve toujours de son prince charmant.

On se doute qu’elle va vite déchanter. Tout les oppose : son mari est « vieux », inculte, tyrannique et noir de peau ; elle a 19 ans, elle est belle, et possède un teint d’ivoire… Dans la maison de sa belle-famille, à Calcutta, « tout [la] blesse ». Lui répugne surtout le corps de Madhusudan, les souillures qu’il lui impose avant qu’elle se refuse définitivement à lui, qu’il la renvoie chez elle et que s’enclenche la mécanique dramatique que l’on pressent depuis le début.

Le roman est bizarrement construit, lent au départ, presque trop rapide vers la fin, un peu abrupt. Certains personnages ne sont qu’esquissés. Et l’on peine à comprendre pourquoi les deux protagonistes principaux n’arrivent pas à se parler, Madhusudan étant fou amoureux de sa jeune épouse et prêt à tout pour lui plaire. Mais Kumudini s’arc-boute sur son délire mystique, préférant Krishna au reste du monde, même à la vie. Jean-Claude Perrier

11.10 2013

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