Pauvre général Hiver. L'hiver s'annonce, mais cette année l'ourse Ö (prononcez eu) a décidé de ne pas hiberner. À elle les joies de la saison blanche, s'approcher d'un bonhomme de neige, s'amuser à souffler de la buée de sa gueule, patiner comme une folle sur la glace. Ici et là des signes inquiétants se multiplient, le bas du piquet de mesure de neige est à peine enseveli, la glace craquelle. Et quand elle fond, un sac plastique de détritus jaune et douteux en émerge... Durant cet hiver qui n'aurait pas fait écrire la moindre petite chanson à Robert Charlebois, pourquoi l'ourse Ö aurait-elle un comportement normal ? Et puis après tout, qu'est-ce qu'un comportement normal dans un monde qui se dérègle de toutes parts ? Dans cette histoire sans paroles, l'Espagnol Raúl Guridi fait coup double. Il évoque le spectre du réchauffement climatique tout en interrogeant la norme. Son trait nous bluffe par son minimalisme. Sans aucun mot ni détail superflu, il parvient avec une économie de moyens impressionnante à nous faire sentir la menace qui pèse sur notre planète. D'un simple coup de crayon, qu'il esquisse une empreinte sur la neige ou une branche d'arbre dénudée, il campe aussitôt une ambiance ou un état d'âme. Sans compter qu'on craque pour son ourse Ö. Sa dégaine à la fois balourde et perplexe est impayable et sa danse endiablée, alors qu'elle s'est coiffée de bois de cerfs, irrésistible. À lire bien au chaud sous la couette cet hiver. Hiver où une fois de plus, il ne va probablement pas neiger...