L'Amérique l'inquiète. On le sait, ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. On sait aussi que l'on ne combat bien que ce que l'on connaît, c'est-à-dire, au préalable, ce que l'on peut nommer. Ça paraît évident et pourtant, à bien y regarder, c'est si rarement le cas, à une époque où le langage apparaît si souvent comme dévoyé au bénéfice d'une exploitation par les forces d'une oppression idéologique, donc politique.
Tel est plus ou moins sinon la thèse, du moins le propos liminaire d'Appelons un chat un chat, le nouvel essai de la journaliste, polémiste et historienne de l'art Rebecca Solnit. Solnit, singulièrement depuis l'émergence de #MeToo et l'affirmation de la crise climatique, est devenue l'une des grandes voix féministes et libérales (au sens américain du terme) d'outre-Atlantique. Ces hommes qui m'expliquent la vie (L'Olivier, 2018) fut ainsi perçu comme une arme de libération massive au sein de nombreux campus. Le présent volume, composé d'une vingtaine de chroniques du temps présent, est sous-titré L'Amérique en crise et il convient de le lire d'abord dans cette perspective états-unienne. Et de savoir aussi qu'il a été initialement publié en 2018. Ainsi, les textes relatifs à l'élection de 2016 qui ont porté Donald Trump à la Maison Blanche doivent-ils être lus dans la pleine compréhension de ce décalage temporel (même si hélas, pour l'essentiel, ils demeurent d'une sinistre actualité). Changement climatique, politique de la violence, affirmation d'un nationalisme décomplexé, dévoiement des messages sur l'identité, violence de toutes sortes faites aux femmes, oppression des minorités raciales et sexuelles, irresponsabilité de la gauche dite radicale, instrumentalisation par la droite des classes populaires (et blanches), le tableau des horreurs peint par Solnit est peut-être bien connu, mais la force sèche, presque comme détachée de la colère bouillonnante qui l'entoure, de l'écriture de l'essayiste est sans doute sans égale.
« Pour bien nommer quelque chose, il faut dévoiler ce qui est violent ou corrompu - mais aussi ce qui est important ou possible - et, pour changer le monde, il faut changer le récit et les mots employés, inventer ou populariser de nouveaux termes et expressions. » Rebecca Solnit s'y emploie. Bravement.
Appelons un chat un chat. L’Amérique en crise
Éditions de l'Olivier
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 24 € ; 252 p.
ISBN: 9782823615203