Dans un long article publié dans son édition du 30 août dernier
[1], le journal
Le Monde rend compte du succès croissant des entreprises spécialisées dans la vente de livres d’occasion. L’article est illustré par une photo des entrepôts de Momox, entreprise allemande et leader européen du domaine, qui semble n’avoir rien à envier par leur gigantisme ni aux magasins des plus grandes bibliothèques du monde, ni à ceux des grandes entreprises de distribution de livres neufs.
La vente de livres d’occasion existe depuis longtemps, mais, dans ce domaine comme dans tant d’autres, Internet a révolutionné la donne, fragilisant le réseau des librairies d’occasion, et homogénéisant les prix en permettant des comparatifs entre vendeurs qui rendent de plus en plus difficile de dénicher « la perle rare » dont le vendeur ignorerait la valeur - hors les cas, répandus, d’acquisitions à titre affectif – et, accessoirement, le risque inverse.
Economie circulaire
Ces autres vies du livre, qu’on ne retrouve pas pour tous les produits manufacturés, tiennent pour part, et un peu mystérieusement, à ce que - et ce n’est pas un mince paradoxe dans nos temps de catastrophe climatique - on jettera avec moins de remords une machine à laver, ou un magnétoscope, qu’un livre – alors même que l’empreinte écologique des deux premiers cités est beaucoup plus désastreuse pour l’environnement que celle du dernier, comme si la complexité technologique des deux premiers, fruit de l’ère industrielle, ne pesait pas lourd par rapport à la simplicité de fabrication, mais plusieurs fois centenaire, du dernier.
La récupération, le recyclage, ce qu’on qualifie d’économie circulaire, et qui semble avoir succédé à la notion de développement durable comme nouveau paradigme rassurant sur l’avenir de la civilisation humaine, a le vent en poupe, et le «
jetable à usage unique » est en passe de devenir le nouvel épouvantail du politico-écologiquement correct. A cet égard, la deuxième vie, et plus si affinités, d’un livre papier, s’inscrit parfaitement dans l’air du temps, même si elle risque de mettre en péril une industrie qui, elle, ne peut pour l’instant compter que sur le premier usage pour se financer – et même s’il faudrait, pour être
vraiment vertueux, inclure dans cet heureux paradigme les coûts environnementaux de la gestion et du transport de ces produits
[2].
Désherbage
Comme le montre l’article du
Monde, en reprenant l’exemple d’un livre récent qu’on passera charitablement sous silence, le coût d’un livre d’occasion peut n’avoir aucun rapport avec le coût d’un livre neuf, essentiellement, bien sûr, à la baisse. Le livre d’occasion connaît les même phénomènes que les livres acquis en bibliothèque, avec la problématique bien connue de l’achat en nombre de livres ayant obtenu des prix littéraires, les
best-sellers qui ne survivent que l’été de leur parution ou, même, les « livres d’une semaine », promus à la faveur d’une acmé médiatique et dont l’usage, en peu de temps, passe de la surréservation à l’abandon pur et simple. Les prix affichés, sur les sites web des grands distributeurs de livres d’occasion, par des titres relativement récents, devraient inciter – comme les bibliothèques le suggèrent depuis longtemps – auteurs, critiques littéraires et journalistes à un peu plus d’humilité, et à un peu moins d’enthousiasme plus ou moins intéressé. Il serait d’ailleurs passionnant de savoir quels sont les livres d’occasion (par auteur, par genre, par catégorie,…) qui se vendent le mieux, et il y aurait, sans doute, des enseignements à en tirer pour les établissements documentaires pour ce qui est de la gestion de leurs collections.
On sait que les bibliothèques, désormais de tous types, ont aussi développé avec grand succès la vente de livres et d’autres documents destinés au désherbage (en gros, à la destruction), une fois résolus les délicats problèmes juridiques et moyennant une communication adaptée, permettant d’éviter (dans une certaine mesure) le reproche des contribuables d’avoir à payer individuellement pour une acquisition faite avec le fruit de leurs impôts. On sait aussi que les bibliothèques achètent, elles-mêmes, des livres d’occasion
[3].
(à suivre)