Il a fait le tour de la question. Depuis ce jour où il fit sa première interview avec à la championne olympique d'athlétisme Colette Besson, jusqu'à celui de sa déchéance, faute peut-être de s'être montré assez gourmand du pouvoir que lui conférait sa charge ; un quart de siècle en journalisme, pour Eric Fottorino, c'est assez.
De ce métier, il aura tout connu. A Libération, à La Tribune ou à L'Evénement du jeudi, un peu. Au Monde, beaucoup, passionnément, à la folie, puis plus du tout. Il y entre en 1986 pour y traiter le dossier des matières premières, en sort en 2010, président du directoire du groupe. Il y sera chargé de l'Afrique, des grands dossiers agricoles, nommé grand reporter, rédacteur en chef, chroniqueur, directeur de la rédaction, jusqu'à la plus haute marche sur laquelle, comme tous ceux qui le précédèrent, il finira par trébucher. C'est ce récit d'une ambition qui n'aurait pas été égoïste, ce roman d'aventures où se lisent les déchirements d'un entre-deux siècles.
Il avait beau dire que le journalisme était une page tournée, la rancune jetée à la rivière, la littérature désormais son seul horizon, on l'attendait un peu, ce livre. Commençons par ce qu'il n'est pas : ni une autocritique, ni surtout un règlement de comptes. Fottorino dit ce qu'il a à dire, s'épanche volontiers dans l'art du portrait. Et comme il a le sens de la scène et le goût en chacun des ressorts cachés, cela suffit. On lira tout de même avec profit, sur ces mois passés à la présidence du groupe qui ne furent pas les plus heureux, le récit de quelques-unes de ses "rencontres" avec l'actuel président de la République, qui sont parmi les choses les mieux écrites et les plus assassines qu'il ait été donné de lire sur Nicolas Sarkozy et sa pratique du pouvoir.
Il serait dommage toutefois que, campagne électorale aidant, l'on ne s'en tienne qu'à cela. Mon tour du "Monde" est moins un document d'actualité qu'un requiem pour des visages, des plumes, un journal et une profession dont les profondes mutations laissent Eric Fottorino comme orphelin... Il ne s'agit pas ici d'écrire "c'était mieux avant", mais de témoigner déjà comment c'était avant ; avant la confusion entre information et communication, avant l'ère du numérique, Internet, les ordinateurs et les journaux, simples joyaux de la couronne de grands groupes industriels. Combien aussi ce métier d'éternel outsider permettait de passer sa vie en en chassant le spectre de l'ennui. Avec une belle sobriété et une vivacité mêlées, Fottorino déroule le fil d'une histoire qui est aussi celle du monde. Il a peut-être abandonné le journalisme, mais le journalisme, lui, n'est pas près de le laisser tomber.