A gauche, un canapé et des étagères avec les Lastman et les Notes de Boulet. A droite, une salle pleine de gros ordinateurs sur lesquels triment des jeunes gens concentrés. C’est comme ça à tous les étages. Dès les premiers pas chez Fauns, place Bellecour à Lyon, on est dans l’ambiance d’une start-up créative et bouillonnante. Ici, on produit de l’animation, de la réalité virtuelle et des effets spéciaux. Mais aussi, dans un bureau tout en longueur arborant l’affiche de Retour vers le futur sur sa porte, une revue de littérature et de bande dessinée : Carbone. "Dans l’idéal, on serait quelque part entre Métal Hurlant et Wired", résume Raphaël Penasa, fondateur du studio. "Avec Carbone, nous voulons créer des univers, des bibles et des scripts qui pourraient servir de base à d’autres projets transmédias plus importants", explique Mathieu Rivero, chargé de la fiction. Dans le premier opus de 276 pages (20 euros), qui sera lancé à Angoulême, on trouve de la fiction écrite et dessinée, des articles, des comics, des avant-première, parfois en partenariat avec d’autres éditeurs tels Urban Comics ou La Volte. Mais ce bel objet trimestriel, tiré à 9 000 exemplaires pour le réseau des librairies, n’est que la tête de pont du projet : quatre romans, quatre essais et deux comics sortiront cette année. "Et a priori, ce n’est pas encore notre rythme de croisière, sourit Raphaël Penasa. Mais pour la revue, on tirera un premier bilan à la fin de l’année."

"C’est un golem !"

Car lancer une revue est une aventure périlleuse et extrêmement prenante. "C’est un golem, une fois lancé, ça ne s’arrête jamais !" s’écrie Franck Bourgeron, cofondateur de La Revue dessinée et de Topo. La première, avec 7 000 abonnés et 12 000 ventes en librairie chaque trimestre, est un modèle de réussite. "Il faut relativiser. On grappille, on grignote, mais on reste petits. Pour Topo, 2 700 abonnés et 5 000 ventes au numéro depuis un an, c’est pas mal mais pas encore suffisant." Bonne intuition, La Revue dessinée s’est positionnée sur le segment de la BD documentaire, et a su drainer un public non spécialiste de bandes dessinées.

C’est celui-là aussi que visent Les Cahiers de la BD, trimestriel critique et historique, "quelque chose d’assez intemporel, une revue qu’on garde" selon son rédacteur en chef, Vincent Bernière. "Tout l’enjeu est de durer et je crois beaucoup au double réseau : kiosques et librairies. Cela permet de monter en gamme, et en prix, de vendre de la publicité et de séduire des lecteurs de passage." Avec 5 300 ventes en kiosque, 2 000 en librairie et 500 abonnements, le premier numéro paru en septembre a reçu un accueil plus qu’encourageant. "Mais la situation financière de Presstalis est inquiétante." En grande difficulté, le diffuseur a ainsi gelé une partie des règlements.

Le crowdfunding, passage obligé

A moins d’être la revue d’un éditeur installé, comme Pandora chez Casterman - qui se vend à 10 000 exemplaires, mais n’aura plus qu’un numéro par an et non deux -, la trésorerie est un point clé de la survie. Demandez à Aaarg !, qui n’a tenu qu’une vingtaine de numéros, toutes formules confondues (trimestriel librairie, mensuel puis bimestriel kiosque). "C’était un trop gros train avec une trop petite locomotive, se souvient Pierrick Starsky, son fondateur. Et on avait choisi de payer correctement nos auteurs dès le départ.Le moindre problème nous a fait dérailler. Et le choix de notre diffuseur, trop gros, a été une erreur." Mener de front l’édition d’albums a aussi mobilisé trop de fonds et d’énergie, ce que La Revue dessinée ne commence qu’à faire prudemment. Et en partenariat, avec La Découverte, puis avec Delcourt qui est entré au capital.

Pour démarrer, et tenir les premiers mois, le financement participatif apparaît comme la solution idéale. "Je n’aime pas réclamer de l’argent, mais lever 9 000 euros sur KissKissBankBank m’a permis de financer une campagne d’affichage et de recruter un nouveau public", raconte Frédéric Bosser, patron des magazines dBD et L’Immanquable, qui vient de lancer Les Arts dessinés. Carbone comme Les Cahiers de la BD ont, eux, réuni plus de 30 000 euros chacun. Mais s’imposer sur le long terme reste le défi le plus fou à relever. "Je n’ai pas de recette miracle, confie Franck Bourgeron. Mais je pense qu’il faut à la fois un concept suffisamment fort pour attirer de bons auteurs et une certaine assise financière pour ne pas perdre son indépendance." Et sans doute un bel alignement des planètes…

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