Perdre un parent n'est jamais évident, mais c'est le cours des choses... « La vie de Francie se comptait désormais en semaines voire en jours. » Après l'annonce d'un cancer à 87 ans, la vieille dame subit une hémorragie cérébrale qui la laisse dans un état désespéré. Un discours inaudible pour ceux qui l'entourent. « Francie était prête à mourir. Eux n'étaient en aucun cas préparés. Eux étaient encore les enfants de leur mère. » Ils vont pourtant devoir affronter cette réalité imminente. Anna et ses deux frères ont du mal à l'accepter. Ils mettent en doute le fait que, « si pour vivre, Francie devait travailler aussi dur qu'une médaillée olympique afin d'avaler ses vingt et un comprimés quotidiens, eh bien c'était le prix à payer. »
Un prix trop élevé face à une souffrance omniprésente. Chaque membre de la fratrie réagit différemment. Anna, de son côté, est renvoyée à une figure maternelle avec laquelle elle n'entretient pas les meilleures relations. Ce brusque changement de situation inverse les responsabilités, puisque c'est désormais la fille qui doit veiller la mère. Le roman fait ainsi ressortir une cruauté naturelle, comme si l'heure de la revanche avait sonné. Qui est désormais dépendant de qui ? Qui redevient une enfant en obligeant les siens à la soigner ? « S'il te plaît laisse-moi vivre avec toi. Telle une enfant, Francie promit qu'elle ne causerait pas d'ennuis. Et tel un monstre, Anna dit non à sa mère. » Bizarrement, elle ne ressent rien, un étrange détachement qui va de pair avec un phénomène inédit : la perte mystérieuse de certaines parties de son corps − qui évoque indéniablement une forme d'arrachement symbolique. Alors qu'Anna semble en panique, personne ne paraît voir ce qui lui arrive vraiment. Freud aurait adoré cette image si symbolique !
Maltraitances
« C'était parfois à se demander si l'erreur des parents n'était pas de surestimer leur importance vis-à-vis des enfants, et si leurs enfants ne reproduisaient pas la même erreur. » L'heure est aux remises en questions, exacerbées par cet existentialisme ambiant. « Brièvement, deux mondes se rapprochaient trop l'un de l'autre, celui des vivants et celui des morts. » Alors que ces deux derniers ont tendance à s'éviter, leur confrontation pousse à s'interroger sur la place accordée, par nos sociétés, aux personnes âgées. Et qu'en est-il de la longévité à tout prix ? Le règne de la jeunesse éternelle ou des apparences - amplifié par le pouvoir des réseaux sociaux - ne fait qu'aggraver les choses.
Né en Tasmanie en 1961, Richard Flanagan a connu le couronnement avec le Man Booker Prize en 2014 pour son somptueux roman La Route étroite vers le Nord lointain. Si Dispersés par le vent (Flammarion, 2002)était le livre du père, celui-ci se veut clairement celui de la mère. Deux histoires complémentaires, qui explorent la complexité conflictuelle des relations parents/enfants et « le pouvoir de l'homme sur le monde, le pouvoir du monde sur l'homme. » Vivant dans sa région natale, profondément reliée à la Terre, l'auteur se soucie de la Mère Nature qui abrite la vie. Un tropisme écologique qui souligne à quel point nous malmenons autant nos vieux que la planète.
Dans la mer vivante des rêves éveillés Traduit de l'anglais (Australie) par France Camus-Pichon
Actes Sud
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 22,5 € ; 288 p.
ISBN: 9782330161323