"Calmes", "apaisées", mais aussi "lisses" et "consensuelles". Les 3es Rencontres nationales de la librairie (RNL) se sont déroulées à Lille les 21 et 22 juin dans un climat vraiment différent des précédentes éditions. L’orientation choisie cette année se voulait résolument positive, comme le laissait percevoir l’intitulé de la manifestation organisée par le Syndicat de la librairie française (SLF), "Libraire, un métier d’avenir !". Traduisant leur volonté de faire vivre leur métier, les libraires étaient au rendez-vous. Le président du SLF, Matthieu de Montchalin (L’Armitière à Rouen), n’a pas boudé son plaisir en annonçant une participation record avec plus de 800 professionnels dont 600 libraires, saluant la présence de confrères belges, venus en voisins, ainsi que celle d’une délégation de libraires québécois.
Comme ses prédécesseurs lors des deux premières RNL, la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, est également intervenue lundi 22 juin, annonçant le prolongement jusqu’à cinq ans des prêts accordés aux libraires dans le cadre du Fonds d’avances de trésorerie aux librairies (Falib) créé par Aurélie Filippetti et géré par l’Ifcic. Destinés à l’origine à pallier les difficultés de trésorerie à court terme, les prêts n’étaient jusqu’alors accordés que pour un an. Largement applaudie, la nouvelle mesure doit "permettre de préparer l’avenir et non de répondre seulement à l’urgence du présent", a précisé la ministre. Faisant partie des demandes exprimées par les libraires, "cette extension de la durée du Falib colle exactement à la thématique des Rencontres", s’est félicité Matthieu de Montchalin, qui a également salué les autres annonces de Fleur Pellerin (voir p. 27).
Très professionnel, l’autre temps fort des Rencontres a été le lancement de l’Observatoire de la librairie (lire p. 26). En témoigne, au-delà des nombreux échos positifs de libraires, le nombre d’inscrits multiplié par cinq en deux jours : 250, ce qui était l’objectif prévu pour mi-2016.
Sentiment mitigé
Pourtant, le sentiment général à l’issue de la manifestation apparaît plus mitigé que lors des précédentes éditions. Au-delà du lieu où se sont tenues les Rencontres, Le Nouveau Siècle, complexe des années 1960 central et spacieux mais pas forcément des plus accueillants pour prolonger les discussions au-delà des rendez-vous programmés, la teneur des échanges a été jugée sévèrement. "Ils ont été limités et assez consensuels cette année", résumait à l’issue de la manifestation Gabriel Pflieger (Vivement dimanche à Lyon), néanmoins content d’être venu.
Si les thématiques retenues étaient prometteuses, le contenu de certains ateliers a plus d’une fois déçu. De fait, la formule de la tribune a souvent donné lieu à des exposés successifs sans que ne s’engage le dialogue avec la salle pour faire émerger de nouvelles pistes de réflexion.
Comme un mouchoir
Certains ateliers sont passés en partie à côté de leur sujet. "C’est comme si on avait posé un mouchoir sur les sujets forts de l’actualité", regrette Sébastien Le Benoist (Quai des brumes à Strasbourg), qui notait à l’issue de l’atelier sur la formation qu’il n’y avait pas eu de discussion "sur la restructuration en cours de l’INFL. Quelle orientation veut-on donner à cette école dédiée à la formation au métier de libraire ? Voilà qui aurait fait un objet de débat intéressant." La rencontre sur la distribution, "enjeu commercial et économique", a fait le point sur le transport et les délais de livraison, mais n’a pas abordé les problématiques cruciales de la concentration actuelle des distributeurs, marquée par le rachat de Volumen par Interforum.
De bonnes idées
Certains ateliers ont cependant tiré leur épingle du jeu, permettant que le débat progresse. Ainsi, celui dédié aux marchés publics, qui a mélangé libraires et bibliothécaires, a fait apparaître les points problématiques mais a aussi permis de mettre en avant des idées pour les surmonter, comme à la médiathèque de Marcq-en-Barœul qui, grâce à une refonte de son cahier des charges, a pu développer une collaboration sur le long terme avec les libraires locaux. Egalement très apprécié, l’atelier sur la diffusion des sciences humaines a pointé le potentiel de ce rayon et livré des pistes pour le développer en engageant des réflexions interprofessionnelles autour de la formation, de l’information, de l’animation et des conditions commerciales.
La forte préparation de ces ateliers par les intervenants leur a donné une structure solide et un propos très construit. Mais cela leur a peut-être ôté une part de spontanéité. Beaucoup de participants ont d’ailleurs regretté que les ateliers n’aient pas permis davantage d’interactions entre les intervenants et la salle. "A la fin des interventions, il ne restait plus de temps pour débattre et la salle n’a guère pu poser de questions, regrette Agnès Godin (La Cabane à lire, Bruz). C’était très frustrant. Il manquait vraiment cette année des temps d’échanges partagés."
La parole se libère dans la dernière table ronde
Il a fallu attendre la toute dernière table ronde intitulée "L’avenir du métier de libraire" pour que la parole se libère et que le débat avec la salle s’installe pendant une demi-heure. C’est d’ailleurs à ce moment qu’ont surgi les grands sujets d’actualité qui préoccupent la profession. Florence Veyrié (La Maison jaune à Neuville-sur-Saône) s’est inquiétée de connaître la vision qu’ont les diffuseurs de l’avenir de la librairie alors même que de grands mouvements de concentration engagés dans leur secteur suscitent de nombreuses craintes.
La forme figée qu’ont prise les ateliers à Lille peut s’expliquer par la volonté des organisateurs d’éviter au maximum les risques de frictions, après les éditions tumultueuses de Lyon et de Bordeaux. D’ailleurs, les occasions de confrontation entre les différents maillons de la chaîne ont été limitées. Les représentants de grosses maisons d’édition et de structures de diffusion sont peu intervenus aux tribunes et sont restés discrets, quoique présents le lundi. Si certains le regrettent, d’autres ont apprécié de n’être pas toujours dans le conflit, à ressasser les problèmes, notamment économiques. Et depuis les 1res Rencontres de Lyon il y a quatre ans, le dialogue a été fluidifié, il y a déjà eu des avancées tant sur le plan commercial que politique.
Les ateliers parallèles peu visibles
Les ateliers parallèles, innovation de cette réunion lilloise, qui permettaient d’échanger en petit comité sur un sujet précis, ont eux peiné à trouver leur place. Inégaux selon leur thématique, ils étaient peu visibles, et par conséquent très peu fréquentés. "Une quinzaine de personnes, c’était déjà un bon score", observe Thomas Le Bras, chef de projet pour Leslibraires.fr, qui a animé l’atelier sur les outils de la relation client.
Si elles témoignent de la difficulté de la manifestation à rebondir après ses deux premières éditions très marquantes, les 3es Rencontres nationales de la librairie resteront comme un moment riche par les contacts qui s’y sont noués entre les professionnels, en particulier dans les échanges informels pendant les pauses-déjeuner ou le soir. C’est la grande force de l’événement. Un rassemblement qui permet à chacun de repartir avec une nouvelle énergie et de nouveaux projets. Pour les futures éditions, Philippe Goffe, le patron de la librairie Graffiti à Waterloo (Belgique), également administrateur du Syndicat des librairies francophones de Belgique et de l’Association internationale des libraires francophones, a invité les organisateurs à ouvrir la manifestation aux librairies francophones européennes. d
C. N. avec C. Ch.
L’Observatoire réunit 250 libraires
"On a dépassé le nombre d’inscriptions que l’on s’était fixé pour mi-2016", annonçait le président du Syndicat de la librairie française, Matthieu de Montchalin lundi 22 juin à Lille, au lendemain du lancement officiel de l’Observatoire de la librairie.
Créé par le SLF et testé depuis plusieurs mois auprès d’une cinquantaine d’établissements, le nouvel outil comptabilise à l’issue des RNL 250 libraires inscrits. Pour accélérer le démarrage, les cotisations pour les inscriptions réalisées avant le 31 juillet sont gratuites au titre de l’année 2015. Ensuite, elles seront proportionnelles au chiffre d’affaires de chaque librairie.
Au-delà de l’argument de la gratuité initiale, l’outil a aussi séduit en lui-même.
Fondé sur un partage de données remontant automatiquement chaque nuit des magasins et venant alimenter un ensemble de tableaux de bord, avec la possibilité d’appliquer des filtres très fins par rayons, distributeurs, diffuseurs, éditeurs et même par titres, l’Observatoire permet aux libraires d’avoir des informations précises sur leurs propres indicateurs économiques et commerciaux, ainsi que sur ceux des autres adhérents. Les données apparaissent de manière anonyme par le biais de moyennes, mais peuvent également être nominatives pour ceux qui ont décidé de jouer la transparence.
Jugé très simple d’utilisation, l’Observatoire doit aider chacun à mieux gérer son activité en lui donnant les moyens d’identifier ses faiblesses, mais aussi en lui fournissant des arguments précis pour mieux négocier avec ses fournisseurs. C. N.
Les quatre annonces de Fleur Pellerin
• La prolongation de un à cinq ans du Fonds d’avances de trésorerie aux librairies indépendantes (Falib), géré par l’Ifcic.
• L’ouverture dès l’automne d’Assises du métier de libraire, afin de redéfinir et de consolider les formations initiales et continues.
• La réouverture à l’automne du chantier sur les marchés publics afin d’y "rendre les librairies indépendantes plus présentes". La ministre se propose d’engager la bataille avec le ministère de l’Economie et des Finances, décisionnaire sur le code des marchés publics.
• La création d’un "champion européen de la distribution du livre numérique", afin de rivaliser avec les grands groupes internationaux. Fleur Pellerin a appelé de ses vœux des "solutions collectives", précisant que "les libraires ne peuvent rester à l’écart de la commercialisation des livres numériques". C. Ch.