Fiction glitch et glam. Le nouveau roman de Sabrina Calvo (Grand Prix de l'Imaginaire, roman francophone, en 2018, pour Toxoplasma) se déroule dans un Paris devenu un monde à part, dans un temps proche du nôtre, un futur dont tout laisse à penser qu'il serait (à peine) anticipé. Cette « Nouvelle Arcologie », monde virtuel et glamour gouverné par le luxe et la mode, s'est construite en parallèle de « l'Ouvert », monde artificiel et morne dans lequel coexistent des reliquats de désirs humains, des semblants d'existences. C'est vers la capitale que les parents de Vic décidèrent de s'installer lorsqu'elle avait 6 ans. Le père, pour travailler sur les chantiers de l'Ouvert ; la mère, pour tenter de réaliser son rêve de défiler pour une grande maison de mode. Comme de nombreuses autres familles, ils se retrouvèrent sur les routes dans des embouteillages qui durèrent plus de six mois pour rejoindre la capitale déjà saturée. « Pour l'enfant que j'étais, pour la promesse de cette petite fille à venir : c'était le monde. »

Des années plus tard, dans la Nouvelle Arcologie, Vic a 19 ans et travaille comme stagiaire dans un magazine pour adolescentes. « Chineuse de trésors vintage excavés de vieilles collections », elle se perçoit comme une archéologue. Pour l'un de ses articles, elle se plonge dans l'histoire d'un tube des années 1980 : Les nuits sans Kim Wilde de Laurent Voulzy, composé par le musicien en hommage à la chanteuse Kim Wilde à laquelle il vouait une obsédante fascination. De là naît une folle intrigue entremêlant la mort de la princesse Diana, la quête d'accessoires et de vêtements pour un défilé de mode de la fashion week, l'ascension de Vic dans un milieu hyperconcurrentiel et toxique, et un mouvement qualifié d'« hypergauche » qui signe ses actions en taguant son nom, « KS », de part et d'autre de la ville...

Hantée par ses origines et son arrivée dans la Nouvelle Arcologie, où, très vite, elle a été séparée de ses parents, Vic tente de comprendre sa trajectoire singulière entre les différents mondes qui l'entourent, virtuels et réels. Drôle et foisonnant, futuriste et glamour, Les nuits sans Kim Sauvage développe une belle idée autour des intelligences artificielles qui assistent les personnages du roman. Intégrée à ses lunettes, l'assistante IA « buggée » de Vic, Maria Paillette, est une sorte de coach qui la conseille et l'encourage dans chacune de ses actions. Sauf qu'entre elles s'est tissée une relation intime et intense, proche de celle d'un couple amoureux, ponctuée de sentiments généreux mais aussi de jalousie. Ce que Sabrina Calvo traduit avec brio et subtilité dans l'une des multiples strates de ce roman, c'est la complexité de la construction de l'identité de Vic à travers les différentes versions d'elle-même qu'elle s'est inventées au cours de son existence, pour se donner la chance d'une possible délivrance.