Sabyl Ghoussoub est un écrivain des frontières absurdes, des marges où la folie de quelques milliers d'hommes de pouvoir, de seigneurs de guerre, de corrompus, contraint la vie de millions d'autres. C'est valable pour le Liban, surtout depuis la monstrueuse guerre civile qui a ravagé le pays de 1975 à 1990. C'est valable aujourd'hui pour l'Ukraine, entre autres. Et ce sont toujours les familles qui trinquent, déracinées à jamais, même si elles ont la chance de refaire leur vie en exil.

Ainsi de Kaïssa et Hanane Ghoussoub, réfugiés provisoirement à Paris en 1975. Ils y vivent toujours et ont fini par demander (et obtenir) la nationalité française et des papiers, mais ne sentiront jamais « français-français ». Sabyl, lui, né ici en 1988, ne se sent plus vraiment libanais, mais « international », même s'il a vécu et travaillé à Beyrouth. « Le Liban, c'est mes parents », confie-t-il. Alors, ses parents, avant qu'ils ne soient trop âgés et disparaissent, il a décidé de les interviewer, de leur faire raconter leur arrivée et leur vie, et, surtout, leurs souvenirs du pays.

Cela donne ce livre hybride et doux-amer, où le déroulé chronologique de 1975 à aujourd'hui − le Liban vit une crise indescriptible, surtout depuis l'explosion sur le port de Beyrouth du 4 août 2020 − se voit télescopé par des saynètes où l'auteur se met lui-même en scène, ou bien encore par des listes terribles : des attentats à Paris de 1985-1986, ou des assassinats de personnalités au Liban, politiques, écrivains, journalistes... Afin que nul n'oublie.