Il s’était fait la main avec Cervantès et son principe de Don Quichotte (Le réel n’a pas eu lieu, Autrement, 2014) qu’il analysait comme un déni de la réalité pour préserver un idéal consistant à lutter contre les moulins à vent. Cette fois, dans le cadre de sa "Contre-histoire de la littérature", Michel Onfray passe la surmultipliée avec Sade. Il connaît le sujet. Il s’est déjà attaqué au bloc d’abîme. Dans La passion de la méchanceté, il porte donc l’estocade à la légende sadienne en montrant qu’il s’agit, là aussi, d’un déni de la réalité chez une intelligentsia française qui privilégie le texte au contexte.
"Comment, en effet, le marquis de Sade qui fut incontestablement un philosophe féodal, monarchiste, misogyne, phallocrate, antisémite, dont l’existence fut celle d’un délinquant sexuel mutirécidiviste ayant à son actif nombre de faits avérés et répréhensibles, a pu, et peut encore, passer pour l’emblème du libertin libertaire et féministe, émancipateur et républicain, un philosophe des Lumières en même temps qu’un penseur d’avant-garde ?"
L’effet de mode et la coterie parisienne ne suffisent pas. Qu’Apollinaire soit responsable de cet embaumement n’est pas discutable, mais il n’est pas le seul. Les coupables sont désignés : Barthes, Lacan, le premier Michel Foucault ou Bataille, tous ces intellectuels qu’il qualifie de "clowns tristes de la pensée française".
Michel Onfray leur oppose le Camus de L’homme révolté, Hannah Arendt ou encore Raymond Queneau, Michel Leiris et Max Horkheimer qui n’appréciaient pas la littérature sadienne. Mais fut-il pour autant annonciateur du fascisme et du nazisme comme le pensait Pasolini ? Sa cruauté a-t-elle quelque chose à voir avec celle des camps de la mort ?
La question posée au début méritait de l’être. Pourquoi Sade est-il devenu une icône au point d’entrer dans la "Pléiade" comme Jean d’Ormesson ? Là-dessus, on reste dubitatif. Maurice Lever, dans sa vaste biographie du Marquis, avait bien montré les côtés obscurs, inqualifiables et même criminels du personnage. Mais il y avait aussi la fascination pour le styliste et sa "façon de penser" lorsqu’il faisait une pause dans l’insupportable. Il suffit de relire ce qu’en disait Annie Le Brun, invoquant cette raison qui s’épuise à ne pas reconnaître les monstres qu’elle a engendrés.
Etrange passage du Purgatoire au Paradis, alors que l’auteur de Justine ne mérite ni l’un ni l’autre. Grand corps malade de la littérature française, pervers pas pépère de la scène libidineuse, obèse priapique de désirs malsains, Sade ne cesse d’incarner l’opposition à un ordre moral, de résister à toutes les tentatives d’édulcoration. De quoi est-il le révélateur profond ? Michel Onfray pose les bonnes questions. Ce sont ses réponses qui ne vont pas plaire à tout le monde.
L. L.