Le Syndicat national de l’édition (SNE) et les syndicats de salariés de la branche sont au moins d’accord sur un point : il faut sensibiliser les entreprises du secteur au problème de l’inégalité des salaires entre hommes et femmes, déclare-t-on au SNE, et "trouver une solution", insiste Martine Prosper, secrétaire générale de la branche Livre-édition de la CFDT. Le rapport social de branche portant sur l’année 2014 dresse le même constat que les précédents : les femmes représentent la majorité des effectifs (70,7 % en 2014) mais leurs salaires sont en général inférieurs à ceux des hommes, parfois même à poste, qualification ou ancienneté identiques, voire supérieurs. "En moyenne, l’écart de rémunération médiane entre les femmes et les hommes est de - 4,6 %", indique le communiqué du SNE.
En début de carrière, l’écart est encore relativement limité. Pour la catégorie des cadres au 2e échelon de la grille de la convention collective, la plus nombreuse avec 909 salariés - en général des jeunes diplômés avec deux à trois ans d’expérience -, la différence de salaire médian n’est que de 2 % en faveur des hommes (voir ci-contre le graphique des salaires par catégories et par échelons). Mais le différentiel atteint 14,9 %, toujours en leur faveur, au dernier échelon (C5) : la médiane, qui représente la ligne partageant l’effectif de la catégorie concernée entre la moitié au-dessus et l’autre au-dessous, est à 109 998 euros pour les femmes, contre 126 382 euros pour leurs collègues masculins, par ailleurs plus nombreux à ce dernier niveau de responsabilité (64 contre 62). Au 1er échelon (C1A), les hommes ne représentent en revanche que 16,7 % de l’effectif (87 sur 520). Les interruptions ou ralentissements de carrière liés à la maternité sont la raison la plus souvent invoquée pour expliquer la raréfaction des femmes dans les échelons supérieurs de la hiérarchie, mais ils ne justifient pas une différence à position égale. Il existe quand même une exception : l’éditeur le mieux payé en 2014 est une éditrice, avec 400 000 euros de salaire annuel total (variable + fixe), soit 23 fois celui de l’employée (également une femme, de fait) la moins bien payée. Le ratio est bien moindre que dans les grands groupes cotés en Bourse, dans lesquels il peut atteindre 200 à 300.
Plus de responsabilité et salaire moindre pour les femmes
L’inégalité homme-femme n’est pas propre à l’édition, c’est un phénomène général du monde du travail, que le législateur tente de corriger avec une réglementation de plus en plus serrée. Selon une étude de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) publiée en mars dernier, l’écart moyen dans le privé atteint 8,5 %, à profil égal. Mais il peut paraître paradoxal que le secteur n’y échappe pas, alors qu’il contribue à nourrir l’information et la réflexion sur ce phénomène, via des essais et des documents (La Découverte publie un "Repères" sur L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes), ou de la littérature. Mais en attendant que "les femmes demandent les hommes en mariage et dressent les chevaux", selon la formule d’un western non conventionnel à paraître chez Gallmeister (1), le rapport social de branche cherche des explications. En plus de l’âge et de l’ancienneté, les enquêteurs ont demandé cette année aux entreprises de leur indiquer le nombre de personnes encadrées et le chiffre d’affaires géré par poste.
La collecte de cette information s’est révélée impossible en ce qui concerne le chiffre d’affaires (comment évaluer la part qui revient à une attachée de presse, un maquettiste, un responsable des études marketing ?), et peu pertinente pour le taux d’encadrement : parmi les directeurs éditoriaux, les femmes encadrent en moyenne plus de salariés que leurs confrères masculins, mais subissent quand même une décote de salaire de - 8,9 %, alors qu’elles ont la même ancienneté (14 ans), et seulement 2 ans d’âge moyen en moins. On retrouve des décalages similaires parmi les chefs de fabrication et dans les directions commerciales, où l’ancienneté est toutefois supérieure chez les hommes (voir ci-contre le tableau des salaires par fonction).
L’explication n’est possible qu’au niveau des entreprises, à travers la lecture de leurs rapports sociaux, pour celles qui doivent en produire, qui permettent de débusquer d’éventuelles différences à poste égal, ou en fonction de leur profil : y aurait-il ainsi plus d’hommes dans des segments plus prospères (juridique, STM) ou dans des maisons plus anciennes et bien installées, et éventuellement plus généreuses ?
Politiques de groupes
L’enquête réalisée par le SNE et transmise aux syndicats de salariés a en tout cas le grand mérite de permettre à chacun de se situer en fonction de son échelon, et de la fonction occupée. Les chiffres reflètent surtout la politique salariale des groupes, qui représentent, avec leurs filiales, les deux tiers des 72 sociétés répondantes pour 2014, et plus de 90 % des 6 750 salariés composant le panel (selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la Dares, l’édition emploie au total 15 700 salariés). L’irrégularité de leur participation réduit toutefois la base comparative aux deux tiers de cet effectif : deux des plus importants groupes (plus de 300 salariés) ont fait défaut, entraînant aussi quelques filiales de poids (de 50 à 300 salariés). A périmètre comparable, dans les entreprises ayant répondu en 2013 et en 2014, les salaires médians des cadres ont progressé de 1 à 3,4 % dans 6 des 10 échelons, mais ont stagné ou régressé (de - 0,5 à - 0,9 %) dans les autres. La part variable de la rémunération peut expliquer cette évolution. Chez les employés (8 % de l’effectif), les salaires médians ont plutôt baissé, de même que chez les agents de maîtrise, mais pas chez les techniciens. Les effectifs dans les entreprises répondantes ont reculé de 2,4 %. A fin décembre 2014, Pôle emploi recensait 1 720 demandeurs d’emploi dans l’édition.
(1) Le saloon des derniers mots doux de Larry McMurtry.