Peut-on trouver dans le monde du livre une signalétique jolie, claire et efficace ? « J'en ai rarement vu et finalement, alors que je viens d'ouvrir ma librairie, je ne le sais toujours pas », regrette le libraire Nicolas Fargette. Le cofondateur des Parages (Paris, 11e) a levé le rideau le 20 août sur un magasin doté d'une signalétique « de bric et de broc, imprimée sur du simple papier et collée. Autant dire tout ce que j'ai déploré chez les autres », reconnaît-il tout en assurant que ce chantier reste ouvert. Mais la librairie des Parages est loin d'être un cas isolé. Dans l'univers du livre, la signalétique demeure une question sous-traitée, en librairie comme en bibliothèque. « Dans la plupart des établissements, c'est le parent pauvre. Elle arrive en bout de course, comme une cerise sur le gâteau, admet Florence Delaporte, chargée de la lecture publique à l'Agence culturelle pour la Nouvelle-Aquitaine (Alca). Bien souvent, elle attend même deux à trois ans avant d'être finalisée. »
Cette attitude ne relève pourtant ni d'un manque d'intérêt, ni d'une absence de réflexion. Comme les bibliothécaires, « Les libraires n'ont pas besoin d'être alertés à ce propos, assure Pierre-Yves Gimenez, architecte spécialisé dans l'aménagement de librairies. Ils sont bien conscients des enjeux qui lui sont liés. » Autonomie des publics qui souhaitent se débrouiller seuls dans les rayonnages ; accessibilité aux personnes en difficulté avec la lecture (voir encadré ci-contre) ; valorisation de la profondeur des fonds et des collections ; mise en avant des choix et des spécificités éditoriales propres à chaque magasin ou établissement ; lisibilité de l'offre et mise en lumière des nouvelles tendances éditoriales ; information sur les activités proposées... La signalétique recouvre une multitude de fonctions et d'enjeux. Elle peut même constituer l'un des principaux facteurs de réussite d'un lieu, comme à l'Alpha, la médiathèque du Grand Angoulême. « L'utilisation des containers et l'explosion du classement des collections ont rendu vital le travail sur la signalétique. Sans elle, l'équipement était mort », souligne Florence Delaporte.
Manque d'outils
D'accord sur le rôle crucial que joue la signalétique, bibliothécaires et libraires restent en revanche confrontés à deux freins. Le manque d'outils, de compétences ou d'interlocuteurs se conjugue au coût. Souvent confiées à un professionnel pour avoir l'assurance d'un résultat pertinent, la conception et la fabrication font vite grimper la facture. A la librairie Ici, ouverte en novembre 2018 à Paris, le simple achat des réglettes en plexiglas fixées sur les rayonnages a « coûté plusieurs milliers d'euros », confie l'une de ses cofondatrices, Anne-Laure Vial. « Réussir une bonne signalétique nécessite du temps, un budget et des compétences spécifiques, qui vont du graphisme à la bibliothéconomie, trois facteurs qu'il convient de réunir en amont d'un projet de construction, ce qui n'est pas toujours aisé quand la structure préexiste », complète Eva Garrouste, directrice de la bibliothèque Les 7 Lieux, à Bayeux.
Même s'il faut « plutôt voir la signalétique comme un investissement sur le long terme », comme le pointe Jean-François Ferrandez, frère de l'auteur de bandes dessinées et graphiste depuis plus de vingt ans de la librairie Masséna, à Nice, les stratégies adoptées par chacun varient en fonction des arbitrages financiers. Du report, en attente à la fois d'argent et de la bonne idée, comme à la librairie Les 2 Georges, à Bondy, ouverte en janvier 2018, à l'effort budgétaire accordé à la bibliothèque les 7 Lieux par des « élus et un directeur qui avaient la volonté de créer une identité visuelle forte, unifiée, harmonieuse et repérable dans laquelle la signalétique a été pensée dès le départ », souligne Eva Garrouste, les écarts peuvent être considérables.
En proie à de profonds bouleversements, tels que la mise en réseau et l'essor du concept de 3e lieu, qui conduit à une diversification de leurs activités, incite à davantage orienter les équipements vers les usagers et modifie les mentalités, les bibliothèques ont un train d'avance sur le sujet. La plupart de celles qui sont sorties de terre ces dernières années ont placé la signalétique au cœur de leur projet. A la bibliothèque Mériadeck, à Bordeaux, réaménagée en 2013, le groupe de travail chargé de la signalétique a notamment planché sur le choix du vocabulaire. « C'était un véritable enjeu de communication, observe Yoann Bourion, directeur adjoint. En simplifiant nos intitulés, nous avons voulu traduire l'orientation plus grand public que prenait la bibliothèque. »
Univers lisibles
A Saint-Lo, Pascale Navet, directrice de La Source, ouverte en mai, a veillé à ce que la signalétique « forme une unité avec la charte graphique globale, permette un repérage rapide et ne vienne pas surcharger l'espace intérieur composé d'univers conçus par l'architecte pour qu'ils aient une identité forte par eux-mêmes. »
Plus timide, le mouvement émerge aussi en librairie. Lancé en 2016 et déployé depuis dans 34 magasins, le nouveau concept livre de la Fnac a donné naissance à une nouvelle signalétique qui joue de la typographie, des formes et des couleurs, pour contribuer à créer des univers forts et lisibles immédiatement par les clients. A Villeneuve-d'Ascq comme à Croix, c'est par le choix de la matière, le carton, qu'Emily Vanhée, fondatrice des Lisières, a voulu transmettre l'une de ses valeurs, l'écologie, et rappeler le quotidien du libraire, qui charrie des cartons toute la journée.
Chez Masséna, à Nice, le réaménagement du magasin, opéré en début d'année, n'a pas épargné la signalétique. « Ce n'était pas pensable de ne pas y toucher, il fallait la reconsidérer et la rendre plus moderne », insiste Jean-Marie Aubert, propriétaire de la librairie, qui a conçu avec Jean-François Ferrandez une signalétique rappelant l'univers des lettres grâce à une typographie qui évoque les caractères des machines à écrire.
QUATRE PRINCIPES POUR UNE BONNE SIGNALÉTIQUE
Considérer l'architecture et la taille
de l'espace.
Intégrer la signalétique dès l'origine
du projet architectural. " Cela
permet de travailler sur la colorimétrie,
les formes, les matériaux et
d'élargir les possibilités ", souligne
la graphiste Hélène Gerber, qui a
oeuvré pour de nombreuses bibliothèques
bretonnes.
Ecouter le projet de l'équipe.
Concevoir une signalétique modulable,
mobile, évolutive et robuste.
" La signalétique ne doit pas figer
nos structures qui sont vivantes,
pointe Yoann Bourion, directeur
adjoint de la bibliothèque Mériadeck
de Bordeaux. L'idéal serait de
pouvoir la reproduire afin de la faire
évoluer dans le temps. "
Quelle chance de s'égarer !
On dit souvent que la signalétique dans les musées n'est jamais assez efficace parce que le public se perd. Mais quelle chance de s'égarer dans un lieu de culture et de se laisser surprendre ! De plus, les nouveaux objets de signalétique sont maintenant liés au multimédia. Je me souviens qu'au Louvre Abu Dhabi, les responsables de l'accueil du public insistaient pour mettre des écrans partout. C'est dommage car les visiteurs, au lieu d'aller voir des chefs-d'œuvre, sont captés par des images télévisuelles. Une bonne signalétique ne doit pas entrer en rivalité avec le contenu des lieux de culture.