L'aventure en héritage. Il y a treize ans, les toutes jeunes Éditions 2024 publiaient Lemon Jefferson et la grande aventure. Cet album hommage aux grandes sagas feuilletonesques d'antan, au ton volontairement naïf et dessiné au feutre dans un style presque enfantin, marquait l'éclosion d'un auteur important de sa génération, Simon Roussin. En ce mois de janvier 2025, qui voit l'éditeur changer de nom (on vous garde la surprise), il retourne dans le monde de Lemon Jefferson, avec de nouveaux feutres et une histoire plus apaisée. Fils exilé du héros, Béla revient sur sa planète d'origine. Or, le temps dans l'espace ne s'écoule pas de la même manière, et tout est bouleversé...
Qu'est-ce que la postérité ? Quel héritage matériel et culturel laisse-t-on à ses enfants ? Comment forger son propre destin quand on a grandi sur des mensonges ? Tels sont certains des thèmes développés dans cet album, qui oscille entre l'anti-aventure assumée (il ne se passe pas grand-chose pendant une bonne moitié du récit) et la chasse au trésor aux accents tragiques. Avec derrière, la grande question de la fiction, ciment des civilisations construisant un imaginaire collectif suffisamment fort pour écarter la peur d'une fin. Comme le suggère le titre, Béla n'a plus de monde, ne sait pas s'il doit se fier à celui qu'on lui offre et ou s'en forger un rien qu'à lui. Menée sur un mode souvent contemplatif, cette réflexion rejoint celle d'un Jérémy Perrodeau dans Le visage de Pavil (2023) publié chez le même éditeur.
Mais loin de n'être qu'une variation stylistique autour d'un univers familier, ce nouvel album permet à Simon Roussin de synthétiser ses recherches narratives précédentes, sur Prisonnier des glaces ou Xibalba (Éditions 2024, 2016 et 2018) entre autres, notamment dans ses aspects mélodramatiques, tout en retrouvant l'opportunité de raconter une simple aventure. Il renoue aussi avec ses feutres aux mille couleurs, mais pousse là aussi leur utilisation vers des matières plus fouillées et des ambiances plus subtiles. Certaines de ses cases tendant à l'abstraction sont fascinantes, d'autres avec des personnages se révèlent touchantes. L'ensemble forme une œuvre très mature, finalement plus sensible que cérébrale. Un joli clin d'œil pour lancer un nouveau cycle, pour l'auteur comme pour son éditeur.
Béla sans monde
Éditions 2024 (nouveau nom à venir à partir du 1er janvier)
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 25 € ; 88 p.
ISBN: 9782487849006