Roman/Suède 7 novembre Johannes Anyuru

Nour se réveille un jour dans un hôpital psychiatrique. Son nom signifie « lumière », pourtant elle sombre dans les ténèbres. Amnésique, « elle tente de se rappeler qui elle est, d'où elle vient. » Quelques flashs lui reviennent à la figure. Deux fillettes rieuses sur une balançoire, un père musulman, des armes, des ceintures explosives, du sang, une peur presque animale. Comment interpréter ces images chaotiques ? « « Ma mère m'a dit un jour que l'histoire est un souvenir qui nous apparaît quand on fuit un danger de mort. » L'héroïne fuit cela, mais pas que.

Aux yeux de la société suédoise, elle incarne « la terroriste ». Plus la brume se dissipe, plus Nour se prend cette réalité de plein fouet. Elle entraîne dans la foulée les lecteurs, qui ne sont pas ménagés, dans une scène initiale addictive. Ils se retrouvent ainsi propulsés dans la librairie Hondo, spécialisée en BD. Elle met à l'honneur Göran Loberg, un caricaturiste provocateur osant critiquer « le Prophète ». Sa vision n'amuse guère Nour, Amin et Hamad qui se sentent investis d'une mission sacrée : le massacrer de façon mémorable. La jeune fille est chargée de tout filmer, afin de diffuser leur acte terroriste sur les réseaux du monde entier. « Les autres otages mourront juste parce qu'ils sont là, infidèles ordinaires. » Mais les choses ne se passent pas comme prévu.

Deux ans plus tard, Nour veut raconter sa version de l'histoire. Elle fait appel à un écrivain métissé, dont la mère est gambienne et la femme algérienne. A l'instar de Johannes Anyuru, issu d'un couple ougando-suédois, qui s'interroge sur la complexité de l'identité nationale, religieuse, familiale, sociale et personnelle. Le poète et romancier suédois fait sensation dans son pays. Ce roman-ci a d'ailleurs obtenu le Goncourt local. Quel est le rôle de l'écrivain ? Doit-il servir de témoin, d'enquêteur ou de philosophe de l'impossible ? Son protagoniste se heurte à un récit décousu, incohérent et contradictoire. Comment une petite fille, au sourire rehaussé d'un appareil dentaire, a-t-elle pu se transformer en fervente sympathisante de Daech ?

« Tout aurait pu être différent » si celle qui s'appelait autrefois Annika n'avait pas fugué pour vivre une histoire d'amour avec un garçon controversé. « Tout aurait pu être différent » si cette Bruxelloise n'avait pas été envoyée dans un lieu digne de Guantanamo. C'est là que le roman vire vers une sphère politique, ambitieuse et inquiétante. « La folie finit toujours par devenir la norme et la norme, la folie », estime l'auteur qui se veut lanceur d'alerte. En imaginant un futur déjà à nos portes, il décrit « une Suède que la Suède avait créée pour se purifier ». Une terre où la peur et le racisme justifient tout, y compris le pire. A travers ses délires, Nour dénonce des haines rampantes, violentes et dévorantes. « Fais de moi une vérité », mais où se situe-t-elle ? Ce texte dérangeant met mal à l'aise devant les dangers de l'époque. Peut-être qu'un autre regard serait salutaire avant qu'il ne soit trop tard. « Gardes-tu espoir ? La lumière est devant nous. »

Johannes Anyuru
Ils se noieront dans les larmes de leur mère - Traduit du suédois par Emmanuel Curtil
Actes Sud
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 22 euros ; 336 p.
ISBN: 9782330114336

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