Dans l'Argentine en crise de 2001, Rocío, une jeune fille de 19 ans s'interroge sur son avenir. Elle prend son indépendance et part habiter seule dans la maison de sa grand-mère, Vilma, qui vient de décéder. Alors qu'elles avaient été très proches pendant l'enfance et l'adolescence de Rocío, leurs liens s'étaient distendus dernièrement. Rocío, ne supportant plus les sempiternels reproches de sa grand-mère, sa dureté, ses remarques acides, avait arrêté de passer la voir. En emménageant, elle retrouve des photos, se rappelle certaines confidences de sa grand-mère, et passe en revue la vie de celle-ci et les tragédies intimes qui l'ont jalonnée. Fille d'immigrés italiens qui ont fui à l'arrivée de Mussolini, Vilma rêvait de devenir institutrice. Mais faute d'argent et tradition patriarcale oblige, c'est son frère qui fera des études (qu'elle financera par son propre travail en usine, à 12 ans). D'espoirs déçus en rêves brisés, sa jeunesse ne sera qu'une succession de déceptions, et sa vie sera marquée par la résignation et l'amertume.
Sole Otero, jeune auteure argentine, s'est très librement inspirée de son histoire familiale pour imaginer ce récit à cheval sur deux époques. Avec une grande aisance, elle mêle la vie de Rocío et celle de Vilma, les distinguant graphiquement en jouant sur les couleurs. Sa mise en page inventive et vivante, son dessin délié, s'accordent bien au soupçon de réalisme magique qu'elle instille pour montrer comment Rocío va tirer des leçons de l'expérience de sa grand-mère. Dans ce récit très riche et néanmoins parfaitement fluide, l'auteure montre combien il est difficile de prendre du recul sur son héritage familial, sur la perception qu'on a des autres. À travers les souvenirs et les questionnements de sa jeune héroïne, Sole Otero s'interroge aussi sur la culpabilité, l'amour filial, la société patriarcale, les difficultés à communiquer et à comprendre les autres.
Mais elle le fait avec une grande subtilité, sans appuyer, sans jamais dénoncer ni rien ni personne, sans excuser non plus. Elle laisse le lecteur, comme Rocío, en juger. « Tu sais ce qu'il y a de pire dans tout ça ? Ma mère a raison. On se ressemble beaucoup. Je suis comme toi. Râleuse, colérique. Je finirai seule, comme toi » craint Rocío s'adressant en pensées à sa grand-mère. Mais en revenant sur ses certitudes, en réalisant la force des liens qui les unissaient, Rocío finira peut-être par comprendre qu'elle a la chance d'avoir encore tout à construire, et qu'il est encore temps de prendre sa vie en main.
Naphtaline Traduit de l’espagnol (Argentine) par Éloïse de la Maison
Éditions Çà et Là
Tirage: 2 800 ex.
Prix: 25 € ; 336 p.
ISBN: 9782369903000