2013 est une année faste pour les amateurs du grand Gyula Krúdy (1878-1933). L’écrivain hongrois, auteur pour le moins prolifique de plus de quatre-vingts romans et de milliers de nouvelles. Depuis janvier ont en effet déjà paru L’affaire Eszter Solymosi chez Albin Michel et Le coq de madame Cléophas chez Circé. Maison suisse, La Baconnière reprend quant à elle, dans la collection qu’y dirige Ibolya Vierag, N.N, un court roman achevé en 1919, publié sur le sol natal de son auteur en 1922 et traduit une première fois à L’Harmattan en 1985.
N.N., le héros anonyme de Krúdy, fait partie des « individus manqués ». Voici un homme ordinaire déjà bien avancé en âge qui porte ses deux chapeaux à tour de rôle et fréquente l’auberge à l’enseigne du Loup Blanc dans les faubourgs. « Je suis né en octobre, mois durant lequel on entend rarement la cigale dont la voix est alors d’autant plus triste », nous dit le narrateur. Celui-ci évoque les grandes routes du Nyirseg, « l’endroit où les petits nobles ruinés furent les derniers à posséder des lévriers et des braques, où l’on conserva toujours les souvenirs du vieux seigneur, de l’honneur gaspillé, de la propriété ancestrale et de la noblesse hautaine ».
Il se souvient du temps où, à l’âge de 16 ans, torse nu à la caserne des hussards, il se battait en duel avec ses sabres pesants. A l’époque, monsieur se préparait à devenir poète. Il cherchait à tomber amoureux, déambulait seul dans la nuit d’automne « tel un voyageur égaré », croisant sur sa route des Tziganes qui cheminaient leur violon sous le bras. Ce fils d’une paysanne pauvre aux yeux d’un noir corbeau qui portait avec elle « le soleil et l’humour » devait s’éprendre de Juliska. La quitter et la laisser des années sans nouvelles, alors qu’il menait une « vie étrange et inconsciente » et qu’elle élevait seul leur enfant. Un garçon prénommé György… N.N. est un tourbillon poétique jalonné d’images et d’impressions. Un voyage qui surprend et enivre d’un bout à l’autre.
Alexandre Fillon