Jusqu'à l'os. Les os ont des choses à nous dire sur le corps des défunts. C'est Sue Black qui l'affirme. Elle sait de quoi elle parle, elle est anthropologue médico-légale et étudie les restes humains à des fins criminalistiques.
Dans ce cours d'anatomie qui se dévore comme un épisode des Experts, on en apprend à chaque page sur notre carcasse et on tremble aussi à l'évocation d'affaires plus sordides les unes que les autres, parfois très anciennes, remontant jusqu'à l'époque de Jack l'éventreur. « Les souvenirs ne s'inscrivent pas uniquement dans le cerveau. Un squelette adulte compte plus de deux cents os, et chacun a son histoire à raconter. » Elles ne sont pas reluisantes, ces histoires, mais elles en disent long sur chacun de nous, l'âge, le sexe, la taille, les maladies ou les blessures. « Dans notre corps, presque tout, qu'il s'agisse des parties molles ou des tissus durs, garde une trace de nos expériences, de nos habitudes, de nos activités. »
Pour cette universitaire écossaise de renommée internationale qui a travaillé sur les crimes de guerre au Kosovo, ces données constituent « la bande-son de notre vie » que des spécialistes comme elle peuvent écouter après notre mort. Non seulement Sue Black sait lire avec une finesse incroyable la partition des squelettes, parfois en très mauvais état, mais elle nous révèle, non sans humour, les secrets de notre charpente dont nous n'imaginions pas toute la richesse.
Avec un sens de la précision qui impose d'avoir parfois le cœur bien accroché pour la suivre dans ses descriptions cliniques, elle raconte aussi pourquoi elle s'est consacrée à cette discipline que l'on résume souvent à la scène du pied avec une étiquette qui dépasse du drap à la morgue. Elle revient ainsi sur le viol qu'elle a subi à 9 ans et qui reste inscrit dans sa chair, malgré sa vie de famille, son mari et ses trois filles. « Peut-être que mon sens de la justice doit beaucoup à cet épisode ténébreux et solitaire de mon enfance, qui m'a marquée à jamais. »
Sue Black déploie beaucoup d'énergie et de générosité dans cet art de faire parler les restes, dans la résolution des crimes les plus horribles, parfois sur des enfants. Elle explique ainsi comment un petit bout d'os du crâne retrouvé dans le filtre d'un lave-linge a permis de prouver un homicide. « Comme je le dis et le répète aux auteurs de polars, s'il leur prenait l'idée de raconter ce qui nous arrive dans la vraie vie, personne ne les croirait et leurs intrigues seraient, au mieux, qualifiées d'invraisemblables. »
Après le succès de son premier ouvrage en 2018, All That Remains (« Tout ce qui reste », non traduit en français), elle découpe en quelque sorte le corps du délit section par section, en abordant le crâne, le visage, la colonne vertébrale, le thorax, le cou, le pied, etc. Ces histoires stupéfiantes où la souffrance est si présente, dégagent paradoxalement une formidable humanité, une sorte de terrible mélodie qui, en dévoilant les traumatismes et les dégâts subis, redonne vie aux morts. Jusqu'à l'os.