Les quadras d’aujourd’hui sont, paraît-il, les nouveaux trentenaires, les quinquas les nouveaux quadragénaires, etc. Les deux protagonistes du nouveau roman de Marco Mancassola, Les désertés, ont 33 ans mais, pour le coup, ne se sentent pas rajeunis, ils ont au contraire devancé l’échéance de leur midlife crisis, la crise existentielle au mitan de la vie.
Le narrateur, ancien attaché de presse, se retrouve sur le carreau dans un Milan frappé par la crise. N’en pouvant plus de "réviser cent fois [s]on curriculum vitae", de voir des "amis déprimés" et de "faire la tournée des bars et des fêtes organisées par les services de presse [ses ex-collègues], à la recherche de dérivatifs amoureux", il part rejoindre son frère Rudi dans un monastère de Big Sur sur la côte californienne. Pas exactement le chemin de Damas, et faute d’une conversion foudroyante à la foi en Jésus et au régime de tofus frits de ces moines végétariens un brin new age, il se contente d’un peu de paix loin de la rumeur milanaise. Respirer le bon air est un début. Quand son frère, "mystique en bermuda, amateur de musique dance", annonce au héros en pénitence l’arrivée de Danilo, son meilleur ami. C’est le début de la fin. Danilo Scotti, l’exubérant comédien de café-théâtre maniaco-dépressif qui voit son public fondre à chaque spectacle et qui vient de se faire larguer par sa femme… Que cherchait-il dans l’Ouest américain ? Un chaman, pardi ! qui le délivrerait de cette existence pourrie de loser bipolaire ! Et à qui a-t-il pensé pour l’accompagner dans son expédition à travers le désert de Californie ? A son pote de toujours, le narrateur !
Dans La vie sexuelle des super-héros (repris en Folio), Mancassola imaginait Superman, Batman, Mister Fantastic et autres personnages aux pouvoirs surnaturels, grisonnants et bedonnants mais vivant une dernière histoire d’amour. Dans Les désertés, il quitte l’écriture fantastique mais pas la mélancolie, qui s’y fait moins ironique. Le narrateur est détruit par la nouvelle du mariage de son ex, Kareen, une grande dépressive (une autre !) qu’il avait "aimée d’un amour naïf et impuissant" et qu’il n’avait pas pu sauver. Il ressasse ses veules tromperies. Majesté du paysage qui ramène l’homme à son échelle - créature parmi les créatures - et chaleur de ces vieilles amitiés faites de silences complices comme de chamailleries (Danilo ne cesse de traiter son compagnon de route de "petite salope" en référence à son libertinage), ce récit parfois désenchanté est quand même auréolé d’espérance. La lumière n’est pas au bout du désert, de lumière il en est tout baigné ! Sean J. Rose