Parmi les sources historiques, trop rares hélas et souvent fragmentaires, qui nous sont parvenues depuis l'Antiquité romaine, l'Histoire Auguste faisait un peu figure d'arlésienne : on en parlait sans l'avoir vraiment lue, ni savoir exactement de quoi il retourne : qu'est-ce, écrit par qui, quand ? La seule version disponible en français figurait, en moult volumes, au catalogue des Belles Lettres, dans la fameuse collection bilingue dite « Budé », mais dans une édition savante, un peu abstruse pour le profane.
Grâce à Stéphane Ratti et à « La Pléiade », l'honnête homme moderne va pouvoir enfin combler cette lacune − en se régalant qui plus est. Car l'Histoire Auguste peut être considérée comme une suite dans la lignée des Vies des douze Césars de cette commère de Suétone, point tant un historien, au sens moderne et rigoureux du terme, qu'un chroniqueur qui compile des anecdotes, des rumeurs, des calomnies, voire en invente, plusieurs siècles après la mort des grands hommes − en l'occurrence les empereurs romains − dont il traite. S'ils avaient existé en son temps, il aurait fait des ravages sur les réseaux sociaux !
Suétone s'est arrêté à la mort de Domitien (assassiné en 96), l'Histoire Auguste démarre avec Hadrien, empereur en 117, et court jusqu'à l'avènement de Dioclétien, en 285. On déplore donc un gap, le règne de Trajan (98-117), perdu, mais l'Espagnol n'est pas tout à fait absent, puisque l'auteur traite de ses mœurs « grecques », et de la relation très proche qu'il aurait entretenue avec son compatriote, fils adoptif et successeur Hadrien (lequel régna jusqu'en 138), ouvertement gay, lui. Par ailleurs deux grands empereurs, à la fois conquérants et esthètes. Sous leur règne, l'Empire romain atteignit son apogée.
Outre l'Histoire Auguste, qui en constitue l'essentiel, le volume de « La Pléiade » propose, dans des traductions toutes inédites, un ensemble de textes d'historiens latins, rédigés entre 360 et le début du Ve siècle, tous païens, derniers de leur foi avant que l'empereur chrétien Théodose n'interdise leurs cultes dans tout l'Empire, en 391-392. S'ensuivit toute une littérature de propagande antipaïenne, dont on nous livre également un échantillon, à la fin. L'une des cibles de l'un de ces textes, un poème, pourrait être l'auteur de l'Histoire Auguste, jusqu'ici présentée comme anonyme. Stéphane Ratti, et c'est un scoop, révèle son identité probable : il s'agirait d'un certain Nicomaque Flavien Senior, un aristocrate, haut fonctionnaire et grand serviteur de l'État, mais adversaire de Théodose et de son intolérance religieuse. Vaincu avec ses chefs Eugène et Arbogast à la bataille de la Rivière Froide en 394, Flavien se serait suicidé. Une vie bien romanesque, pour un historien.
Le seul qui manque à son édition, explique Stéphane Ratti, c'est Ammien Marcellin, païen également. Mais c'était un grec écrivant en latin et l'ampleur de son œuvre, même partielle − trente et un livres dont on n'a retrouvé que les volumes XIV à XXXI − justifierait une « Pléiade » à soi seule. À bon entendeur, ave.
Histoire Auguste et autres historiens païens
Gallimard « La Pléiade »
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 65 € ; 1 328 p.
ISBN: 9782072950568