Quel étrange sentiment ressenti jeudi soir en écoutant Philippe Sollers se débattre piteusement lors d’un débat télévisé sur les femmes et la politique. Lui, autrefois si brillant, même sur les plateaux les plus hétéroclites, dans la défense d’une culture de la singularité propre à la littérature, le voilà qui se retrouvait à cancaner et non plus à railler. Un subtil décalage de longueur d’onde vers l’infra me donnait subitement conscience que cette fin de l’ordre du livre sur laquelle j’ai déjà tant glosé, parfois en n’y croyant qu’à moitié, est bel et bien là, plus tôt que je ne l’avais imaginé. Entendez-moi bien : je n’ai jamais fait de Philippe Sollers le nec plus ultra de la littérature française, moi qui porterais aux nues plutôt Claude Simon et Julien Gracq. Mais, tout de même, il illustrait si bien, jadis, cette idée qui m’est chère, à savoir qu’en amont de toutes les formes d’expression, il y a l’écriture à l’état pur, dans son vrai flacon, le livre, comme un concentré d’irréductibilité radicale d’où le reste procède ! Voir l’emblématique Philippe Sollers ne plus éprouver le besoin d’incarner cette figure orgueilleuse de l’écrivain me semble un signe des temps, funeste. Je l’ai suffisamment dit et écrit, avec d’autres, depuis longtemps : le livre n’aura été qu’un moment de la saga du texte et de la pensée ; il n’est plus au centre de la socialisation des connaissances ; la conversation des humains s’amplifie par d’autres voies ; le numérique prend la relève ; chacun peut espérer devenir acteur du système ; une aube nouvelle nous appelle. N’empêche, voir s’éteindre le feu qui vous a réchauffé serre autrement le cœur que d’assister au décollage d’un OVNI. N’en doutons pas, bien des livres nous réjouirons encore et encore ! L’écriture métaphysiquement blanche de Paul Auster vient à nouveau de me titiller les neurones, du côté de Brooklyn, et, Samedi, Mc Ewan m’a lesté d’un poids d’humanité salutaire. Mais je ne peux m’empêcher de penser que ces deux auteurs m’ont rejoué la petite musique que je connais déjà. Ils m’ont invité à la grande anamnèse de notre culture occidentale en déroute. Le bibliothécaire que je suis ne peut pas faire abstraction de ce goût de cendre lorsqu’il essaie de rester dans la course. Certes, comme le montre l’enquête du Credoc, les perspectives ne sont pas si sombres. Les bibliothèques perdent des bataillons de gros lecteurs, irrémédiablement disparus dans la tourmente, mais gagnent des armées d’usagers volages qu’il suffit d’attirer et de fidéliser en diversifiant l’offre documentaire, en aménageant des espaces chaleureux, en multipliant les activités culturelles, en déployant nos antennes sur le net, en faisant du « lecteur » un partenaire. Tout cela est vrai, mais il ne faut pas sous-estimer la difficulté. Touchée au cœur, la bibliothèque doit s’inventer non seulement de nouvelles recettes mais une nouvelle raison d’être. Survivre à Philippe Sollers, telle est donc la question ...