Le Figaro littéraire a eu l’idée — qu’on qualifiera poliment d’inattendue — de confier son feuilleton à Yann Moix. Moix « succède », en quelque sorte, à Renaud Matignon, disparu voici déjà dix ans, et qui occupa l’emploi durant de fort longues années. Renaud Matignon était un personnage parfaitement infréquentable, capable des pires vilenies. Sa « nécrologie » de Jean-Louis Bory aurait pu figurer, en bonne place, dans Je suis partout , au point que François Nourissier se targuait d’avoir quasiment fait arrêter les rotatives du Figaro Magazine , pour rectifier le tir au sein du groupe Hersant. Mais enfin, Renaud Matignon avait du style. Et un sens inouï de la formule. La littérature de Marc-Edouard Nabe, c’était « Wagner chez les pucerons ». Et Philippe Sollers était le « Bernard Tapie de la chose imprimée »… Voilà à quelle figure tutélaire le pauvre Moix se retrouve confronté. On lui accordera cette indulgence que le feuilleton est un genre délicat. Et d’ailleurs, qu’est-ce que ce « feuilleton », qui occupe, par tradition, une place de choix — au bas de la première page, ce qu’on appelle en termes de métier le « rez-de-chaussée » — dans les suppléments littéraires ? J’emprunterai la réponse… à un compositeur. Berlioz, dans l’un des chapitres de ses Mémoires , raconte comment à une époque (c’était au début des années 1840), il fut « forcé d’écrire des feuilletons » : « Mon existence après cette époque ne présente aucun  événement musical digne d’être cité. Je  restai à Paris, occupé presque uniquement de mon métier, je ne dirai pas de critique, mais de feuilletoniste, ce qui est  bien différent. Le critique (je le suppose honnête et intelligent) n’écrit que s’il a une idée, s’il veut éclairer une  question, combattre un système, s’il veut louer ou blâmer. Alors, il a des motifs qu’il croit réels pour exprimer son opinion,  pour distribuer le blâme ou l’éloge. Le malheureux feuilletoniste  obligé d’écrire sur tout ce qui est du domaine de son feuilleton (triste domaine, marécage rempli de sauterelles et de crapauds!) ne veut rien que l’accomplissement de la tâche qui lui est imposée ;  il n’a bien souvent aucune opinion au sujet des choses sur lesquelles  il est forcé d’écrire ; ces choses-là n’excitent  ni sa colère, ni son admiration, elles ne sont pas. Et pourtant, il faut qu’il ait l’air de croire à leur existence, l’air d’avoir une raison pour leur accorder son attention, l’air de prendre parti  pour ou contre. » Pardonnez la longueur de la citation, mais elle résume idéalement la nuance entre critique et feuilletoniste — le feuilleton étant confié à un artiste  (pour ce qui nous occupe ici, un écrivain), ce que ne sont pas tous les critiques. Quand Matignon officiait au Figaro , Bertrand Poirot-Delpech lui faisait écho au Monde des livres . Il avait fait de son rez-de-chaussée une arme de combat pour sa candidature à la Coupole. Il suffisait que l’un quelconque des Immortels produise un opuscule sur n’importe quel sujet, pour qu’aussitôt il ait droit aux honneurs de son feuilleton. Tant que Poirot fut en campagne, comme il ne reculait devant rien, Félicien Marceau fut ainsi assuré d’avoir au moins un papier dans la presse pour chacun de ses romans. Quand les 40 estimèrent l’avoir fait assez lanterner, Poirot fut admis quai Conti, et il abandonna (après un délai de décence) son rez-de-chaussée. Ce fut dommage, car entre deux retapes pour les habits verts, Poirot sut faire vivre avec beaucoup de talent cette chronique partiale du tout et du rien que décrit Berlioz. Avec Moix, nous serions plutôt partis pour une chronique du rien. Pour son premier papier, jeudi dernier, il ne s’était pourtant pas attaqué à du gros gibier : le premier roman de Guy Bedos. Ce qui nous valut, pour ce galop d’essai, quelques formules définitives, dignes d’être gravées dans le marbre, comme « Il n’y a pas d’âge pour avoir peur de la mort, puisqu’il n’y a pas d’âge pour mourir ». Et un « immarcescible élan de vie » du plus bel effet… On songe à cette formule vacharde, que s’était attirée Marguerite Duras : « Elle s’est promenée autour d’elle-même avec une satisfaction sans réplique ». C’était de Renaud Matignon.

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